Enquête
Lire en temps de guerre
Les livres et la lecture en temps de guerre sont un bon moyen de résister. Résistance aux visions
noires, à la solitude, à la sclérose cérébrale, aux réflexes premiers... Libraires et lecteurs, même combat?!
Par Nicole Hamouche
2006 - 08
«?Ln temps de crise, une librairie est comparable à une pharmacie?!?», affirme Maroun Nehmé, président du Syndicat des importateurs de livres et propriétaire de la Librairie Orientale. La lecture offre en effet une échappatoire, une invitation à l’évasion pour mieux affronter, le recul aidant, la triste réalité... Fort heureusement, le livre n’est pas, à l’instar d’autres produits de consommation, menacé de pénurie?: malgré le blocus, il demeure disponible grâce aux libraires qui se sont fait un point d’honneur de garder leurs portes ouvertes. Certes, les dernières parutions n’arrivent plus comme par le passé, vu que l’acheminement se fait par avion et que les voies d’accès sont, jusqu’à nouvel ordre, fermées. Mais ce problème est tempéré par le fait que les mois d’été ne sont pas riches en nouvelles publications. À cette époque de la saison, ce sont surtout les livres scolaires et parascolaires qui sont les plus demandés. L’importance de ce marché justifie d’ailleurs les visites au Liban de nombreux éditeurs et représentants multicartes. Sur ce segment utilitaire, les achats se sont poursuivis en dépit des événements, constate M. Nehmé. En revanche, le créneau des guides de voyage, habituellement très prisé en cette période de l’année, a été très affecté...
Une fréquentation stable
Selon Maroun Nehmé, la fréquentation des librairies n’a pas baissé malgré la guerre?: «?La situation ne crée pas un lecteur de plus?; elle stimule ceux qui sont déjà lecteurs.?» Mais la capacité de concentration du lecteur n’est-elle pas entamée? M.Nehmé répond par la négative?: «?Les bons lecteurs ont, en général, la capacité de lire sous tous les cieux et en toutes circonstances.?» Que lisent-ils?? Certains optent pour des ouvrages de qualité choisis parmi les nouveautés ou les classiques?; d’autres, pour des livres ludiques?: même ceux qui ne lisaient pas à la base se rabattent, pour se distraire, sur les revues qui proposent des jeux. D’autres, enfin, lisent pour mieux comprendre?: la guerre réveille en eux un sentiment d’urgence qui les incite à réfléchir davantage, à se documenter... M. Nehmé observe ainsi un intérêt croissant pour les livres consacrés à la résistance ou à l’islamisme, bien que les références relatives au Hezbollah proprement dit soient plutôt maigres. Il constate aussi que la médiatisation de la guerre a suscité un intérêt croissant pour les ouvrages ayant trait au Liban et aux questions liées à l’intégrisme. Même ceux qui plient bagage éprouvent le besoin de se replonger dans l’histoire de cette terre qu’ils quittent, parce qu’ils viennent de se rendre compte que beaucoup de choses leur ont échappé.
Pas de panique?!
Et si la crise se prolongeait?? Les importateurs de livres ne paniquent pas?: «?Pour l’instant, nous préférons ne pas nous placer dans une logique de crise ouverte, déclare M. Nehmé. Nous en sommes encore au stade des réminiscences?: nous nous rafraîchissons la mémoire sur les moyens que nous avions mis en œuvre par le passé, sans trop croire qu’il sera nécessaire de déployer à nouveau ce genre d’efforts?!?» Au besoin, les libraires sauront comment s’y prendre?: en 1990, par exemple, on continuait à recevoir au Liban, avec un léger retard, les dernières parutions françaises?! Les livres étaient alors acheminés par voie maritime?; les journaux et revues par voie terrestre grâce aux bons soins des Messageries du Moyen-Orient?: «?L’organisation était bien huilée.?» De même, pour faire face à la diminution du pouvoir d’achat du consommateur, des coéditions et des rééditions à petits prix d’ouvrages publiés en France chez de grands éditeurs avaient vu le jour au Liban à l’instigation de Lucien George, directeur des Fiches du monde arabe (FMA). L’initiative, décriée par certains libraires, avait rencontré un franc succès?: grâce à ce procédé, les ouvrages d’Amin Maalouf avaient connu une très large diffusion sur le marché local....
à la guerre comme à la guerre. Face à la tempête, libraires et lecteurs se serrent les coudes. Ensemble, ils devront traverser ce cap difficile, portés par une même passion?: lire?!
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