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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête
L’édition libanaise, victime collatérale
Les 34 jours de guerre ont mis à mal tous les secteurs de l’économie libanaise, y compris celui de l’édition. État des lieux après la tempête.

Par Nicole Hamouche
2006 - 09


L’édition est non seulement l’un des piliers de la culture libanaise, elle est aussi un élément majeur de la balance des paiements du pays, puisqu’elle se place, avec l’imprimerie, au 5e rang dans le classement des exportations libanaises. 80 à 90 % des recettes du secteur, qui compte quelque 250 maisons d’édition actives parmi les 600 enregistrées, sont réalisées à l’export. À l’instar des autres secteurs exportateurs de l’économie, l’édition a donc considérablement pâti des effets du blocus imposé par Israël.

D’après les statistiques, une grande partie des revenus des éditeurs provient de la publication de livres islamiques. Les éditeurs de ce genre d’ouvrages, qui sont nombreux à avoir élu domicile dans la banlieue sud de Beyrouth, ont été très affectés par les bombardements. D’après le président du syndicat des éditeurs, Mohammad Irani, trente-cinq éditeurs et dix imprimeurs ont vu leurs entrepôts partir en fumée dans cette zone. Les dégâts sont officiellement estimés à cinq millions de dollars, un chiffre sans doute en deçà de la réalité, selon Dina Dally, de Dar el-Saqi, l’avant-gardiste maison d’édition libanaise qui a pignon sur rue à Londres. Ainsi, l’usine qui fournissait Dar el-Saqi en papier a littéralement brûlé, accusant à elle seule des pertes de l’ordre de 7,5 millions de dollars !

Dommages collatéraux
Les dommages matériels subis par l’édition libanaise ne sont pas les plus lourds : la guerre a indirectement plombé toute l’activité de ce secteur, surtout en cette période cruciale de l’année. Car les livres religieux aussi bien que les dictionnaires (comme al-Mounjed et al-Mawarid, de grands classiques édités par la Librairie Orientale) et les livres universitaires ou scolaires sont habituellement livrés à la rentrée. « Pour l’Afrique du Nord par exemple, les livres doivent être expédiés en juillet-août  pour être prêts pour la rentrée chez le client : il faut compter deux mois d’acheminement, la marchandise étant expédiée par bateau », précise Nasser Jarrous, directeur de Jarrous Press et représentant au Moyen-Orient du Salon du livre de Londres. La problématique est claire, vu le blocus. Par ailleurs, les Salons du livre n’attendent pas ; les dates sont fixées  longtemps à l’avance et la particularité des Salons arabes qui se succèdent de septembre à mars est que les ventes s’y font en direct : la marchandise doit donc être disponible sur place. Au niveau des transactions qui sont généralement conclues à l’occasion de ces salons, il est à craindre que le Liban perde de nombreux marchés. D’après Nabil Sader,  secrétaire général du syndicat des éditeurs , l’Irak et la Libye se tournent déjà vers des maisons d’édition kurdes, jordaniennes ou égyptiennes. « La concurrence est de plus en plus rude, le principal critère étant celui du prix », observe-t-il en déplorant l’augmentation du coût de production au Liban, du fait de la pénurie de matières premières, qui se répercute fatalement sur la compétitivité du produit final. De même, les délais de paiement octroyés ne sont plus les mêmes : « Les fournisseurs réclament un paiement cash, grevant ainsi la trésorerie des éditeurs. »
Comme l’activité à destination de l’export a été fortement troublée par la guerre, les éditeurs espèrent se reporter sur le marché local, relativement faible à cause de la crise économique et du désarroi de la population, préoccupée par d’autres priorités. Pour répondre à ce besoin, le Salon du livre arabe qui devait se tenir à Beyrouth à partir du  8 décembre sera maintenu, alors que le Salon francophone, initialement prévu en octobre, sera probablement reporté à début décembre. Connaîtront-ils le succès des années précédentes ? C’est à la Foire internationale de Francfort, début octobre, que se dessinent les contours du Salon du  livre arabe de Beyrouth. Combien d’étrangers seront-ils prêts à s’engager dès octobre à se rendre à Beyrouth en décembre ? Difficile à dire dans le contexte d’instabilité que vit le pays. Autre exemple : le British Council avait récemment lancé l’initiative de  faire connaître les éditeurs arabes en Europe, sachant que le monde arabe sera l’invité d’honneur du Salon de Londres en mars 2008. La préparation et les rencontres préliminaires autour de cette initiative devaient se faire à partir du Liban, notamment à partir du Salon arabe de décembre. Changement de cap dû à la guerre : c’est l’Égypte, où se tient un Salon fin janvier, qui bénéficiera de cet élan.

Paralysie de la création
Une activité comme celle de l’édition se nourrit d’échanges et de création, auxquels le blocus, mais aussi la guerre et l’atmosphère étouffante qu’elle crée, ne sont manifestement pas propices. « La tête ne fonctionne plus pour générer des idées nouvelles et créatives, avoue Nabil Sader. Les esprits sont distraits par les soucis du quotidien : l’essence, le courant... »  Ainsi,  les manifestations initialement prévues en septembre à l’occasion de la parution chez Dar an-Nahar des traductions en arabe des ouvrages de Samir Kassir n’auront probablement pas lieu à la date prévue, indique-t-on au sein de la maison. Un ouvrage sur le Liban, écrit par Salah Stétié, était déjà en cours de publication en partenariat avec les éditions Actes Sud. L’impression de ce livre n’a pas été suspendue : à l’issue de la guerre, il apparaît nécessaire de publier des ouvrages de ce genre pour prouver au monde que le Liban est, et restera, une terre de culture.

 

Lebanon, Lebanon

Pendant la guerre, en guise de réplique à la violence, Saqi Books a pris l’initiative d’éditer un ouvrage intitulé Lebanon, Lebanon, une anthologie dont les revenus seront reversés au profit de l’association libanaise Save the Children. De nombreux écrivains, intellectuels et artistes libanais et étrangers, comme Adonis, Mahmoud Darwich, Harold Pinter ou John Le Carré, ont accepté d’apporter leur contribution à cet ouvrage qui constitue un merveilleux hommage au pays du Cèdre. Son lancement est prévu à Londres le 27 septembre.

 
 
 
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