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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête

Secteur essentiel mais méconnu du grand public, l’édition universitaire francophone est l'une des pierres angulaires de la diffusion du savoir au Liban et au Proche-Orient. Contre toute attente, elle se porte plutôt bien et, avec l'appui de l'AUF, rentre de plain-pied dans l'ère numérique.

Par Olivier GARRO
2007 - 05


La question de l’édition se situe au cœur de l’activité des universités. C’est en effet là, dans la lecture des livres et des revues, que naissent les actions de recherche et d’enseignement. C’est là aussi, lors de la publication d’articles ou d’ouvrages, que sont reconnus, évalués et validés les résultats des différents travaux. Mais le marché du livre ou de la revue est très morcelé, avec des tirages généralement faibles qui ne permettent pas aux éditeurs de survivre s’ils ne sont pas soutenus par des institutions. Pour donner un ordre de grandeur, en 2005, un ouvrage universitaire était publié en moyenne en 575 exemplaires en France. Les universitaires anglo-saxons souffrent beaucoup moins de ce problème?: ils possèdent un marché naturel beaucoup plus vaste auquel sont venus se rallier, depuis une trentaine d’années, des chercheurs travaillant dans d’autres langues. S’il est vrai que l’anglais est omniprésent dans le domaine des sciences, il n’en demeure pas moins que le français n’y est pas absent. Car publier en anglais ne veut pas dire que la science et la recherche se font exclusivement en anglais. Bien au contraire?! Ainsi, au Liban, force est de constater que de plus en plus de chercheurs travaillent en français et ce, au sein même d’universités réputées totalement anglophones. Aussi faut-il reconnaître que si la langue anglaise est devenue une langue internationale, permettant l’échange entre scientifiques, elle est loin d’être la seule langue de travail et de publication des universitaires. Il existe en effet de nombreux domaines où le français reste absolument incontournable. Dans le domaine juridique, par exemple, le droit libanais s’inspire largement du droit français, notamment dans les domaines du droit civil, du droit commercial, du droit constitutionnel et du droit administratif. De même, pour ceux qui se soucient d’agriculture en zone aride, point de salut hors du français, tant les travaux en zone sahélienne (Afrique subsaharienne) sont nombreux. Ces deux exemples, très opposés et pourtant parfaitement applicables au Liban, montrent bien que la situation est plus contrastée qu’il n’y paraît de prime abord. Une autre raison de publier en français est que la science est naturellement faite de théories qui s’affrontent et s’enrichissent mutuellement. Aussi, pour l’humanité, posséder des espaces dans lesquels des théories différentes peuvent coexister est absolument nécessaire. Ceci est d’autant plus intéressant que ces espaces linguistiques ne sont pas clos mais bien poreux, du fait des chercheurs qui passent de l’un à l’autre par le biais de la langue de publication. Pour le Liban et ses universitaires, il s’agit d’une réelle chance dans la mesure où ils sont à l’intersection de trois mondes, dont deux disposent de productions scientifiques conséquentes et dont le troisième, le monde arabe, se développe progressivement après un passé scientifique incroyablement riche.

État des lieux

En France, il existe 45 presses universitaires sur 84 universités, dont les Presses universitaires de France (PUF) qui, en 1941, ont lancé la fameuse collection Que sais-je?? 1 000 titres nouveaux sont publiés chaque année, dont 90 % dans le domaine des sciences humaines. Le CNRS publie à lui seul 200 revues par an, qui balaient tout le spectre des recherches. Bien qu’il ne représente que 7 % de l’édition publique qui représente elle-même 1 % de l’édition privée, le secteur de l’édition universitaire joue néanmoins un rôle majeur dans le renouvellement des connaissances et contribue à la «?diffusion des résultats de la recherche?» comme le veut la loi sur l’enseignement supérieur de 1984. Qu’en est-il de la publication universitaire au Liban?? La production y est diverse et paradoxale. Le colloque organisé sur ce thème à Beyrouth a en effet montré qu’il existe beaucoup plus d’auteurs universitaires libanais qu’on ne l’imagine. Mais la plupart d’entre eux préfèrent publier dans des revues universitaires en France. Pourtant, de nombreuses publications universitaires de qualité sont éditées au Liban. À titre d’exemple, l’Université Saint-Joseph dispose d’une maison d’édition (les Presses de l’Université Saint-Joseph, fondée en l’an 2000) et d’un catalogue impressionnant de revues de renommée internationale, principalement francophones, couvrant des domaines aussi variés que le droit (Revue Proche-Orient), l’économie, la théologie (Proche-Orient chrétien?; L’Orient des Dieux…), les lettres (Annales de lettres françaises), ou la philosophie (Annales de philosophie), sans compter les Mélanges de l’USJ et la revue Travaux et jours, fondée en 1961 par le père Jean Ducruet, qui compte 76 numéros d’excellente facture. De son côté, l’Université libanaise a publié depuis 1956 plus de 200 ouvrages ainsi que des revues comme Hannoun, publiée par le département de géographie, et la revue Dirasat, éditée par la faculté de l’éducation. Phénomène intéressant?: le total des ouvrages anglophones ne dépasse pas les 3 %. C’est le français qui vient en tête avec près de 56 %, suivi de l’arabe avec près de 40%?! Les universités de Balamand, Kaslik, La Sagesse, pour ne citer qu’elles, possèdent également leurs propres publications aussi bien en arabe qu’en français et en anglais, dans des domaines très variés. Quant à l’IFPO, il pratique beaucoup la coédition, publie deux périodiques (le Bulletin d’études orientales et Syria, revue d’art et d’archéologie orientale) et diffuse les travaux de trois pays?: le Liban, la Jordanie et la Syrie. Enfin, le CNRS libanais publie depuis sept ans une revue de très grande qualité, la?Lebanese Science Journal, qui réunit des articles en français et en anglais à parts égales...

L’AUF et la révolution numérique


Conscient de l’importance du secteur, le bureau du Moyen-Orient de l’AUF est très fortement impliqué dans la publication universitaire. S’appuyant sur ses 635 universités membres, l’agence contribue au maintien d’une production et d’une diffusion éditoriales dans l’ensemble de l’espace francophone, avec des équipes d’auteurs appartenant à tous les pays de la francophonie. L’ensemble des titres publiés constitue désormais une bibliothèque de référence dans les grandes disciplines scientifiques et nombre de ces ouvrages ou revues sont consultables gratuitement en ligne. Parmi les programmes qu’elle propose, l’AUF apporte un appui technique et financier à la mise en place de revues électroniques. En 2007, cinq à sept nouvelles revues de ce type seront soutenues. Ainsi, si l’AUF aide de manière significative l’édition traditionnelle, des efforts sont entrepris pour favoriser le passage aux nouvelles technologies et accompagner le changement. Le combat n’est certes pas facile?: en France, le campus numérique a connu un succès limité, le nombre de thèses numérisées demeure ridicule et le projet de numérisation du CNRS français (CENS) a été suspendu. Mais il ne faudra pas baisser les bras?: pour remédier aux problèmes de diffusion rencontrés par les éditions universitaires et permettre aux étudiants et aux chercheurs du monde entier d’accéder plus facilement aux travaux disponibles, les nouvelles technologies s’avèrent indispensables. Si elle veut rester compétitive, l’édition universitaire francophone ne devra pas rater le coche?!

Olivier GARRO
Directeur général
du Bureau de l’AUF au Moyen-Orient

 

 

Dans le cadre de la Quinzaine de la francophonie, l’Agence universitaire de la francophonie a organisé une journée de travail consacrée à l’édition universitaire francophone à laquelle ont pris part des éditeurs et universitaires libanais et français.

 
 
© Collection Université Saint-Joseph
Au Liban, de plus en plus de chercheurs travaillent en français et ce, au sein même d’universités réputées totalement anglophones
 
2020-04 / NUMÉRO 166