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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête
Quel avenir pour les dicos??
Dans la longue histoire plusieurs fois séculaire des dictionnaires et des encyclopédies français, nous arrivons aujourd’hui à un seuil. En ce début du XXIe siècle, l’image de l’encyclopédie en vingt volumes qui trônait sur les étagères du salon disparaît peu à peu au profit de supports plus petits, plus légers, voire immatériels.


Par Lucie Geffroy
2007 - 07


Depuis près de 15 ans, en effet, dictionnaires et encyclopédies se déclinent sous forme numérique en DVD et CD-Roms (ou cédérom) et sont en passe d’intégrer la grande révolution technologique du siècle dernier?: Internet. «?Avec la fin de la vente pas courtage au début des années 90 et la généralisation des supports numériques, le marché de l’encyclopédie papier tel qu’on l’a connu il y a 15 ans n’existe plus?», affirme Yves Garnier, directeur des départements «?Petit Larousse et encyclopédies?» aux éditions Larousse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes?: en 40 ans, Universalis a vendu 800?000 encyclopédies en version papier tandis que ce sont plus d’un million d’exemplaires d’Universalis-cédéroms qui se sont écoulés en à peine 10 ans (avec une différence de prix importante?: 139 euros le cédérom contre 2 940 euros pour la version papier). Désormais, la majorité des encyclopédies traditionnelles est donc passée à l’électronique, tout en gardant sa spécificité?: Encarta, la familiale?; Universalis, la haut de gamme?; Hachette, la scolaire et Larousse la patrimoniale. Grâce à ses fonctionnalités (en liens hypertexte, en contenus multimédias, etc.) et à sa petite taille, le DVD-Rom concrétise finalement le rêve de tout encyclopédiste?: embrasser tout le savoir humain en un seul objet. Avec ses 33?000 articles, ses 360?000 liens intelligents, ses 800 minutes de documentation sonore, etc., le DVD Universalis 2007 a de quoi donner le vertige. Yves Coppens, paléontologue, l’un des auteurs de l’édition Universalis, s’en amuse en saluant ce produit «?qui a eu l’élégance de ranger quelques millions d’années d’idées dans quelques centimètres carrés portables?»

Le papier incontournable


Du côté des dictionnaires de langue, la problématique se révèle différente. Le cédérom est un produit pertinent dès qu’il s’agit d’ouvrages de grande taille, mais il l’est moins pour les volumes uniques ou doubles. L’édition papier des dictionnaires de langue dépasse encore largement l’édition numérique. «?On souffre d’un manque de visibilité. 75?% des clients ne connaissent pas l’existence du cédérom?», remarque Anne-Marie Ferrut, responsable de la commercialisation des produits électroniques aux éditions Le Robert. Le secteur est principalement confronté à un problème de distribution. À la Fnac ou à Virgin, les cédéroms continuent en effet à être exposés dans les rayons DVD ou jeux vidéo et non au rayon dictionnaires. Sans préciser les chiffres, les éditions Le Robert annoncent vendre un cédérom pour dix dictionnaires papier. Davantage lié à l’écriture et à la lecture, le dictionnaire de langue se consulte rapidement et ponctuellement. «?On n’a pas forcément le réflexe de glisser son cédérom dans l’ordinateur juste pour vérifier l’orthographe ou l’étymologie d’un mot?», souligne Laurent Catach, directeur des éditions multimédias du Robert qui estime que sur ce secteur le papier a encore de belles années devant lui. De son côté, le dictionnaire Larousse, qui a fêté son centenaire en 2005, se vend sur papier à plus d’un million d’exemplaires. «?Le Larousse reste le grand “leader” des dictionnaires français millésimés. Chaque foyer possède son Petit Larousse illustré?: il fait partie du patrimoine français au même titre que la Marianne?!?» souligne Jean Pruvost, grand spécialiste des dictionnaires, auteur d’un essai intitulé Les dictionnaires français, outils d’une langue et d’une culture. Et au Liban?? Seule l’édition papier rencontre le succès, ainsi qu'en témoigne Al-Mounged, distribué dans le monde par la librairie Orientale. Les éditions numériques tardent à séduire le public arabe, sauf dans le domaine juridique où certains éditeurs (Sader, Idrel, Yazbek…) proposent sur cédéroms textes de loi et jurisprudence.

Vers l’immatériel

C’est surtout sur l’avenir du support cédérom que les questions se posent. La plupart des éditeurs de dictionnaires et d’encyclopédie le prédisent?: d’ici cinq ans, le cédérom n’existera plus ou deviendra archaïque. L’objet, on l’a dit, souffre d’un manque de visibilité et pose problème à cause du piratage. Tous ces éditeurs envisagent donc sérieusement de prendre le tournant Internet. «?On est prêt à tout basculer sur Internet, s’il le faut. Pour les réactualisations, ce sera plus simple?», souligne Laurent Catach. Déjà, les encyclopédies et les dictionnaires encyclopédiques à l’instar d’Universalis proposent des «?extensions?» Internet dans leurs versions en cédéroms. En outre, Universalis, Encarta et Larousse ont récemment mis en place un système d’abonnement payant de contenus Internet à destination des institutions, entreprises et écoles. L’étape suivante se fera auprès du grand public. Encyclopédie présentée sous la forme d’un gros dictionnaire en style télégraphique, le Quid tire bien son épingle du jeu. Assis sur son fameux slogan «?tout sur tout... tout de suite?», son succès commercial semble ne pas faiblir depuis 42 ans. En octobre prochain, Quid fêtera les 10 ans de son site Internet (quid.fr) qui propose l’intégralité de son contenu en ligne. «?On tend de plus en plus vers du contenu en ligne, souligne Vivien Chantepie des éditions Larousse. Le cédérom est trop limité, les mises à jour sont compliquées?et ça reste un support matériel. » Avec le succès de Wikipédia, l’encyclopédie collaborative (les internautes peuvent eux-mêmes enrichir le contenu des articles) et gratuite disponible sur Internet, les utilisateurs ont, par ailleurs, de nouvelles exigences en termes d’accessibilité au savoir – même si sur Wikipédia la précision et fiabilité font cruellement défaut – qui obligent les éditeurs traditionnels à innover. «?On doit repenser l’encyclopédie. Pourquoi ne pas imaginer deux espaces, l’un dédié à l’encyclopédie classique conçue par des experts, et l’autre ouvert aux utilisateurs et à l’interactivité comme dans Wikipédia???» s’interroge Vivien Chantepie. D’autres éditeurs estiment aussi que l’arrivée du e-paper et du livre numérique pourrait encore introduire des nouveautés dans l’utilisation des dictionnaires et des encyclopédies. Tous sont certains en tout cas que l’encyclopédie et la Toile devaient forcément se rencontrer un jour. Reste à savoir quel modèle économique permettra la viabilité des encyclopédies ou des dictionnaires en ligne issus des éditeurs traditionnels. Comme le souligne Denis Fasse, directeur marketing chez Universalis?: «?Des modèles économiques de gratuité qui s’inscrivent dans le temps, ça n’existe pas.?» Si l’avenir de l’encyclopédie s’inscrit forcément sur la Toile, il comporte encore de nombreux points d’interrogation...

 
 
« L'édition papier des dictionnaires dépasse encore largement l'édition numérique »
 
2020-04 / NUMÉRO 166