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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête

Peut-on apprendre à bien écrire ? Approche longtemps dissidente, l’atelier d’écriture a aujourd’hui acquis ses lettres de noblesse. Cette discipline s’enseigne désormais à l’université, et des dizaines d’ateliers fleurissent un peu partout. Enquête sur une pratique de plus en plus appréciée au Liban.

Par Georgia MAKHLOUF
2008 - 01
Parler d’atelier d’écriture, c’est avant tout lever certains malentendus, tordre le cou à des images déformées qui collent encore aux basques de cette pratique. École d’écriture pour les uns, groupe de parole à visée thérapeutique pour les autres, l’atelier d’écriture n’est rien de tout cela. La démarche s’inscrit dans une généalogie aux multiples branches. Elle emprunte aux surréalistes et à l’OULIPO (l’ouvroir de littérature potentielle de R. Queneau, G. Perec, I. Calvino et tant d’autres) ; mais elle s’enracine aussi dans les recherches pédagogiques innovantes qui ont vu le jour en marge de l’institution scolaire ou universitaire en France, ou encore dans la pratique du « creative writing » enseigné dans les universités américaines depuis des décennies. Qu’est-ce donc qu’un atelier d’écriture à visée littéraire ? Curieusement, alors qu’il a toujours été admis que la peinture s’apprenait, alors que l’histoire de l’art abonde d’exemples de grands peintres qui ont d’abord longuement fréquenté les ateliers de leurs aînés avant de voler de leurs propres ailes, il n’en a pas été de même pour l’écriture. L’écriture a, le plus souvent, été appréhendée selon le modèle « romantique » du don, de l’inspiration quasi divine. Les fées s’étaient donc penchées sur le berceau de l’écrivain à sa naissance, et il lui appartenait ensuite de laisser éclore ce don. Peu d’élus donc, dans le cercle fermé et jalousé des écrivains choisis par les dieux.  La philosophie de l’atelier d’écriture s’inscrit en faux par rapport à cette vision. Elle postule que l’on peut aussi apprendre à écrire et que le meilleur moyen de faire cet apprentissage est encore... d’écrire. Elle prétend également que le groupe peut être porteur d’une dynamique créative (tous les théoriciens de la créativité le savent, qui ont formulé les principes de ce qu’on appellera par la suite le « brainstorming ») sur laquelle on peut s’appuyer pour développer sa créativité propre.

Au Liban, des ateliers d'écriture à visée littéraire sont régulièrement organisés depuis octobre 2003 à la Maison du Livre et réunissent un large public d'amoureux de la langue et de la littérature. Ils ont pour thèmes l'écriture de la nouvelle, le conte, l’autobiographie ou l'écriture de la mémoire... Des ateliers d'écriture sont également menés auprès d'enfants au sein des bibliothèques du réseau Al Sabil. Des formations à l'animation d'ateliers d'écriture sont proposées à des enseignants universitaires ou scolaires soit par la Mission culturelle française, soit à l'initiative des établissements scolaires eux-mêmes (tels que l'IC ou le collège Notre Dame de Jamhour) pour familiariser leurs propres enseignants aux techniques de l'écriture créative et les inciter à mettre en application les acquis de la méthode dans leurs classes. La demande pour les ateliers d'écriture est constante et les initiatives se multiplient.

Genèse de l’atelier d’écriture

L’expression « atelier d’écriture » est née en France dans l’euphorie de l’après-Mai 68. Elle est dérivée des ateliers des beaux-arts parisiens. Étudiants et enseignants grévistes s’étaient appropriés les lieux et les outils qui s’y trouvaient afin de produire des objets graphiques de leur choix. C’est dire si les ateliers ont partie liée, socialement et symboliquement, avec ce mouvement d’insurrection par lequel la société civile entreprend d’élargir son espace au détriment d’un ensemble de lois et de règles ressenties comme arbitraires. Appliqué au domaine de l’écriture, il s’agit de développer une démarche nouvelle de lecture d’écriture et d’échange afin de débarrasser la littérature des carcans de la norme scolaire et universitaire, de la libérer de l’exercice obligatoire de prosternation devant les grandes figures du panthéon littéraire. On découvre au passage le creative writing à l’américaine, sachant que cette pratique, institutionnalisée depuis fort longtemps aux États-Unis, n’y est pas chargée de cette dimension dissidente. Des centaines de milliers de personnes y participent régulièrement et ces workshops ont produit des générations entières d’auteurs. C’est aussi dans l’après-Mai 68 qu’Elisabeth Bing, dont beaucoup reconnaissent le rôle pionnier, invente ses ateliers d’écriture avec des enfants caractériels, en marge du système scolaire. Confrontée à des adolescents en grande difficulté et qui manifestent des attitudes de rejet par rapport aux apprentissages scolaires classiques, elle a l’intuition que leur donner accès au bonheur d’écrire peut être pour eux un geste salutaire qui remotive leur désir et, à travers les mots, leur permet de reprendre possession d’eux-mêmes, de devenir « auteurs  ». Pour susciter ce désir, E. Bing s’appuie sur des textes mythologiques et littéraires, elle lit Rimbaud, Beckett, Claude Simon ou René Char. Non pas pour en faire une analyse, mais pour que les enfants ressentent à quel point ces « grands » textes viennent rencontrer l’intime en chacun, à quel point ils parlent d’expériences humaines universelles. Et permettent d’écrire cette part maudite ou sacrée « avec le même plaisir et la même anxiété qu’un écrivain travaille la langue ». Une séance d’atelier est organisée en trois temps. Dans un premier temps, l’animateur fait une proposition d’écriture, le plus souvent en s’appuyant sur un (ou plusieurs) texte(s) littéraire(s). La proposition est une invitation à écrire. Le deuxième temps est un temps d’écriture individuel, suivi par le temps de la lecture à haute voix et des échanges. Ceux-ci sont orientés sur le travail du texte.  

Les avantages de l’écriture en atelier

Écrire en atelier entraîné par un animateur professionnel présente de nombreux avantages. Il permet d’expérimenter des thématiques, des styles, des dispositifs  auxquels on ne se serait pas spontanément essayé tout seul. Et donc d’aller là où on est surpris, d’emprunter des chemins qui ne font pas partie de ses « pentes » d’écriture habituelles, et, in fine, de porter un autre regard sur sa propre écriture, de découvrir en soi des ressources insoupçonnées. L’atelier permet également de confronter son texte à l’écoute des autres, et d’écouter les textes des autres. En effet, si écrire est un acte solitaire, ces temps d’échanges en groupe sont source d’enrichissement. Car ce faisant, chacun prend mieux conscience de sa singularité et découvre dans les réactions des autres, ses premiers lecteurs, des pistes auxquelles il n’avait pas pensé et qui pourront l’aider à développer son personnage, à étoffer son récit. Le dispositif développe la créativité par le biais des « contraintes » que l’animateur propose. Car, à l’instar des surréalistes ou des écrivains de l’OULIPO, l’atelier d’écriture postule que la contrainte libère de l’angoisse de « l’inspiration » et porte chacun vers des territoires d’écriture non encore défrichés par lui. Une contrainte permet souvent d’écrire alors même que l’on pensait que l’on n’avait rien à dire. Enfin, l’atelier d’écriture est une incitation à lire et à lire autrement : il postule que l’on écrit parce que l’on est avant tout un lecteur. Avec la notion d’intertextualité apparaît l’idée que tout écrit est le produit de tous les textes lus antérieurement par celui qui écrit, que tout auteur est pris dans le vaste réseau de tous les écrivains passés, présents et futurs. L’atelier d’écriture propose d’emprunter des chemins sur lesquels d’autres auteurs se sont aventurés, de s’appuyer sur leurs  techniques d’écriture ou leurs procédés de composition, et de trouver, ce faisant, sa manière propre d’écrire.

Si le fait d’être écrivain ne qualifie pas  nécessairement à animer des ateliers d’écriture, nombreux sont les écrivains qui se passionnent pour la démarche, la développent et écrivent des ouvrages pour transmettre leur savoir-faire et leur philosophie. Parmi eux, il faut citer François Bon en priorité, qui a longuement fait écrire des SDF ou des ouvriers, mais aussi des jeunes en milieu scolaire ou des étudiants à Normale Sup. De ses expériences, il a tiré la matière de plusieurs ouvrages dont le très passionnant Tous les mots sont adultes dans lequel il fait généreusement partager ses méthodes. « Depuis dix ans, écrit-il, d’une façon quasi continue, les ateliers d’écriture ont été pour moi le lieu d’une découverte surprenante du monde lui-même, parce qu’en le nommant nous découvrons l’exigence pour l’écriture de s’ouvrir à des syntaxes et des formes neuves, que ce réel neuf exige, et qui nous le révèlent en retour. » Citons aussi son site Internet remue.net, véritable mine pour tous ceux qui s’intéressent à l’écriture.

Aragon qui fut, on le sait, très proche des surréalistes affirme avec clarté : « Je crois encore qu’on pense à partir de ce qu’on écrit et non l’inverse. » J’écris moins le texte en somme que le texte ne m’écrit et ce faisant me construit une identité. Les ateliers sont une invitation à découvrir sa petite musique, sa façon unique de construire son chemin d’écriture, son itinéraire singulier sur le territoire des mots.

 
 
D.R.
On peut aussi apprendre à écrire et le meilleur moyen de faire cet apprentissage est encore... d’écrire
 
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