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Enquête
La traduction en français de romans arabes peine à décoller
Si la littérature arabe francophone se vend bien dans l’Hexagone, la traduction en français de romans arabophones reste un secteur marginal. A l’origine de cet insuccès : frilosité des éditeurs et surcoût de la traduction



Par Lucie Geffroy
2008 - 02


En France, les éditeurs produisent de plus en plus de romans. A chaque rentrée littéraire, ce sont environ 600 titres mis sur le marché. Dans cet océan de livres, quelle place pour les romans arabes traduits en français ? En moyenne, une dizaine de romans arabophones traduits en français sortent chaque année. D’après le SNE, Syndicat national de l’édition, l’arabe est, en nombre de titres acquis, la 8e langue d’acquisition de droits (sur une trentaine en tout) par des éditeurs français. En 2006, la France a ainsi acquis 11 oeuvres littéraires arabophones en vue d’une traduction. Devant l’arabe, on trouve l’anglais en première place avec 794 titres acquis, l’allemand (67 titres acquis), l’italien (62) ou encore le néerlandais (25). En 2007, le chiffre - gonflé par les Belles étrangères dédiées au Liban - est monté à 16 titres acquis. Mais, à titre de comparaison, les années précédentes, l’arabe a bénéficié de 3 acquisitions de droits en 2005, 4 en 2004 et 18 en 2002. « Je ne sais pas si on peut parler d’évolution à la hausse ou à la baisse, car ces statistiques portent sur des nombres trop petits pour être significatifs en terme de tendance. En revanche, il saute aux yeux que, globalement, la traduction de littérature arabe provient surtout du Machrek, particulièrement du Liban, et seulement un peu du Maghreb », souligne Arnaud Valette, chargé des études statistiques au SNE. En effet, le Liban occupe la première place avec 6 titres vendus en 2006, viennent ensuite l’Egypte (3), l’Arabie Saoudite et la Syrie. 

Encouragés par le grand succès éditorial de L’immeuble Yacoubian d’Alaa El Aswany, d’autres éditeurs qu’Actes Sud - dont la collection Sindbad est spécialisée en littérature arabe - commencent néanmoins à s’intéresser à la littérature arabophone. Et en plus des grands éditeurs, de petites maisons d’éditions telles que Verticales, L’Inventaire ou Phébus osent prendre le risque de la traduction de l’arabe au français. « Mais c’est encore trop peu, regrette Farouk Mardam Bey, directeur de la collection Sindbad. Il n’est pas normal que des grandes maisons comme Le Seuil ou Gallimard ne publient qu’un livre arabophone tous les deux ans ! » 

Les éditeurs français se contentent souvent de publier les « valeurs sûres », comme Elias Khoury, Mah­moud Darwich, ou Gamal Ghitani. Manquant d’éditeurs spécialisés dans le domaine arabe, les maisons d’édition dépendent d’intermédiaires pour découvrir de nouveaux talents ; ce qui n’encourage pas la prise de risque. Le coût de la traduction est par ailleurs très élevé. « Il faut compter 7000 euros environ pour traduire une oeuvre littéraire. L’éditeur devra donc vendre beaucoup pour récupérer l’argent investi, or on n’est jamais sûr qu’un livre plaira », souligne Farouk Mardam Bey. Et les aides à la traduction accordées par le Centre National du Livre restent trop marginales. En 2007, l’arabe représentait 1,52 % de ces aides contre 43,60% pour l’anglais. Côté librairie, un livre comme L’immeuble Yacoubian vendu à plus de 200 000 exemplaires fait figure d’oasis au milieu du désert. Car en marge d’un tel succès, les romans arabophones se vendent peu ou mal. Pourquoi ? D’après Sylvie Audoly, chargée du domaine étranger aux éditions Plon, la littérature étrangère quelle qu’elle soit est difficile à vendre. « On souffre d’une surproduction éditoriale. La France publie déjà tellement de romans qu’il ne reste plus beaucoup de place pour la littérature d’ailleurs ». Il faut dire enfin que contrairement à la littérature anglophone ou latino-américaine traduite en France depuis le milieu du siècle dernier, la littérature arabe n’a commencé à être traduite que dans les années 1970. Un retard de 25 ans qui l’empêche aujourd’hui encore de s’imposer à sa juste valeur.


 
 
Un livre comme L’immeuble Yacoubian vendu à plus de 200 000 exemplaires fait figure d’oasis au milieu du désert
 
2020-04 / NUMÉRO 166