Enquête
Les romans étrangers de la rentrée
Par Lucie GEFFROY
2008 - 09
Sur la plage de Chesil
de Ian McEwan (Gallimard)
« Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible. » Nous sommes en 1962. Le soir de leur mariage, Édouard et Florence, deux étudiants prometteurs, se retrouvent enfin seuls dans la chambre d’une vieille auberge du sud-ouest de l’Angleterre. Leur première nuit se transforme soudain en une épreuve de vérité où rien ne se déroule selon le scénario prévu. Au fil de ce récit court, achronologique et dérangeant, le Britannique Ian McEwan dresse un double portrait, admirable de finesse et de psychologie.
L’enchanteresse de Florence
de Salman Rushdie (Plon)
C’est une des publications attendues de la rentrée en France. Vingt ans après les Versets sataniques et deux derniers romans décevants, Salman Rushdie semble avoir retrouvé ses talents d’écrivain. Grande fresque historique qui se déroule entre la Florence des Médicis et l’Inde des Moghols, L’enchanteresse de Florence raconte les destins croisés du Grand Jalâluddin Muhammad Akbar, musulman libéral qui invita les jésuites à sa cour pour débattre de questions religieuses, et Niccolo Vespucci, un mystérieux voyageur venu de Florence. Entre les deux hommes, une femme : l’enchanteresse Qara Köz, princesse oubliée et mystérieuse détentrice du secret de la jeunesse éternelle…
Le ministère des Affaires spéciales
de Nathan Englander (Plon)
Buenos Aires, 1976. Kaddish Poznan est payé par les honorables juifs bourgeois de la capitale pour effacer des pierres tombales les noms infamants de prostituées, maquereaux, petits mafieux et autres aïeux gênants. Dans la capitale, les bruits de bottes de la junte militaire approchent et se font de plus en plus menaçants. Un jour, Pato, le fils de Kaddish, étudiant révolté et fougueux, est arrêté. Il devient alors un « disparu » comme tant d’autres de ses camarades. Dans leurs démarches désespérées, les parents de Pato accèdent au « ministère des Affaires spéciales » à la recherche de pistes, d’aide et de réponses. Trempée dans l’encre de Kafka, de Gogol ou d’Orwell, la plume de Nathan Englander dénonce les dictatures qui broient les êtres et défient la raison.
Le soldat et le gramophone
de Sasa Stanisic (Stock)
Dans l’ancienne Yougoslavie, le jeune magicien Aleksandar fait l’expérience de l’amour et de la guerre, avant de connaître l’exil dans une Allemagne des années 1990, obsédée par le productivisme et le coût de la réunification. Propulsé sur le devant de la scène littéraire, grâce à ce premier roman traduit de l’allemand dans 26 langues, le jeune Sasa Stanisic (29 ans) livre ici un récit drôle, captivant et dense qui fait renaître un genre en voie de disparition : le grand roman européen. Né de père bosniaque et de mère serbe, Sasa Stanisic avait 14 ans, comme son héros Aleksandar, lorsqu’il quitta la Bosnie-Herzégovine pour l’Allemagne où il vit toujours. « Sasa Stanisic. Ou Sasha Stanishitch. Nous ferions mieux d’apprendre à prononcer ce nom car il est là pour longtemps », conseille l’écrivain Colum Mc Cann.
Miles from nowhere
de Nami Mun (Stock)
Nouvelle voix de la littérature américaine, Nami Mun fait partie de cette « seconde génération » des immigrés venus d’Asie. Née à Séoul en 1968, Nami Mun a vécu à New York dans le Bronx. Dans Miles from nowhere, la romancière plonge le lecteur dans le quotidien de Joon, une adolescente d’origine coréenne, venue en Amérique avec ses parents en quête d’une vie meilleure. Mais le rêve tourne au cauchemar et Joon connaît la drogue, la prostitution, et l’errance de squats en foyers. L’amitié qu’elle noue avec la Black Knowledge, une autre gamine des rues, lui offrira tout de même quelques moments de répit. En filigrane de la description de cet enfer ordinaire de l’Amérique capitaliste, Nami Mum compose le portrait de New York, cette ville grandiose et lumineuse qui semble se refermer sur ses enfants.
Contre-jour
de Thomas Pynchon (Seuil)
Onze ans après Mason et Dixon, Thomas Pynchon revient avec un roman fleuve (1200 pages) où se mêlent de nouveau érudition et absurdité, fiction et personnages historiques. Couvrant une période située entre 1893 et le début des années 1920, Contre-jour décrit l’Ouest américain, le New York du tournant du siècle, l’Europe, l’Asie, le Mexique de la révolution ainsi que « un ou deux endroits qui ne sont pas à proprement parler sur la carte du monde ». On y trouve aussi l’histoire des quatre enfants de la famille Travers, hantés par la mort de leur père. Et tout le récit est « survolé » par un groupe de jeunes aéronautes qui, de leur montgolfière, contemplent le développement planétaire de cette fiction extraordinaire.
Le petit voyeur
de Ibrahim Sonallah (Actes Sud)
Garçon solitaire âgé d’une dizaine d’années, le « petit voyeur » écoute aux portes, espionne à travers les trous de serrure, fouille les tiroirs et les placards, lit des livres interdits, etc. Il est cherche à comprendre le monde des adultes. Que s’est-il passé ? Pourquoi n’est-il plus l’enfant heureux qu’il était quand sa mère était là  ? Pourquoi vit-il aujourd’hui dans une toute petite chambre avec un père qui ressemble plus à un grand-père ? Dans ce récit poignant et largement autobiographique, Sonallah Ibrahim renoue avec l’écriture objectiviste et l’attention extrême portée au détail caractéristiques de son premier roman, Cette odeur-là (1992).
L’état des lieux
de Richard Ford (L’Olivier)
Nous sommes à l’automne 2000, à l’approche de la fête très familiale de Thanksgiving, dans le New Jersey aux États-Unis. Frank, agent immobilier, souffre d’un cancer. Sa dernière femme, Sally, l’a quitté il y a peu. Pour Frank, les bilans s’imposent : que dire sur la mort de son fils, sur ses précédents mariages tous vécus comme des échecs, en un mot sur sa vie ? Richard Ford, souvent comparé à Faulkner, avait ébranlé l’Amérique en 1995 avec son roman Independence Day qui reçut le prix Pulitzer. C’est ici un nouveau portrait de l’Amérique et de ses contradictions qu’il brosse.
Comme Dieu le veut
de Niccolò Ammaniti (Grasset)
Malgré l’amour viscéral qu’il porte à son fils Cristiano, Rino, chômeur et alcoolique, est un père violent et brutal vivant dans la peur perpétuelle de se faire retirer la garde de son enfant. Autour de cette relation père-fils dénaturée, Niccolò Ammaniti dépeint ici l’Italie des paumés et des exclus, une Italie dévastée par la vulgarité et l’abrutissement consumériste. Néanmoins, la tendresse de l’auteur pour ses personnages imprègne d’une profonde humanité ce roman puissant où cohabitent humour et désenchantement. Déjà vendu à 450 000 exemplaires en Italie, Comme Dieu le veut a consacré le talent de Niccolò Ammaniti en remportant le prestigieux prix Strega 2007.
Melnitz
de Charles Lewinsky (Grasset)
Charles Lewinsky est né en 1946 à Zurich, en Suisse. Dramaturge, scénariste et romancier, il a obtenu le prix de la Fondation Schiller pour son précédent roman Johannistag (2000). Perçu par la critique comme une prouesse littéraire et comparé à Cent ans de solitude, Melnitz est un roman monument. Il raconte la saga de la famille Meijer, une famille juive suisse, de la guerre franco-prussienne (1871) à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et s’inscrit clairement dans la grande tradition des romans français du XIXe siècle.
Les hommes perdus
de Brian Leung (Albin Michel)
C’est un titre à la Leung, dont les récits sont souvent ancrés dans les méandres de vies désespérées. Les hommes perdus est le premier roman de cet auteur originaire de San Diego, fils d’une Américaine et d’un Chinois, reconnu pour ses nouvelles plusieurs fois couronnées de prix. Dans un style sobre et poétique, Les hommes perdus raconte le voyage à travers la Chine d’un homme et de son fils qui ne se sont pas vus pendant plus de 20 ans. Père et fils, mais étrangers, les deux hommes se retrouvent dans un pays familier pour l’un, inconnu pour l’autre. Dans ce face-à -face troublant, chacun va se dévoiler lentement…
Beijing Coma
de Ma Jian (Flammarion)
Son recueil de nouvelles sur le Tibet (La mendiante de Shigatze) ayant été censuré par le gouvernement chinois, Ma Jian est un écrivain condamné à l’exil. Roman ample et dense, Beijing Coma est un livre témoin sur la révolte de Tienanmen en 1989 – que l’auteur a soutenue –qui se solda par un terrible massacre. « La tragédie de Tiananmen est un moment crucial de l’histoire du XXe siècle, mais en Chine, personne n’est autorisé à en parler. S’en souvenir est devenu un crime », écrit Ma Jian. À travers le personnage de Dai Wei, un étudiant plongé dans le coma après avoir été atteint d’une balle sur la place Tienanmen, l’auteur montre comment la Chine devra nécessairement se tourner vers elle-même et se confronter à son passé.
|