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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Enquête

La rentrée littéraire 2010 s’annonce très riche. Quels en sont les auteurs phare ? Quels sont leurs sujets de prédilection ? Enquête au cœur de l’édition française.

Par Laurent BORDERIE
2010 - 08
La rentrée littéraire est un phénomène franco-français qui crée l’étonnement, « pourtant je me demande bien comment nous pourrions éviter ce phénomène, s’étonne Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard, tous les auteurs aiment se retrouver pour l’occasion, ils pensent qu’il y a là une bonne fenêtre de tir pour être visibles ».   Et pourtant, l’on se demande bien ce qui peut motiver un auteur à passer sous les fourches caudines de la presse littéraire ou générale pour l’occasion. « C’est un risque que les auteurs veulent bien prendre », insiste Manuel Carcassonne, éditeur chez Grasset. Pas moins de 720 romans vont ainsi paraître entre le 15 août et le 20 septembre. Autant dire que dans le flot, certains n’auront peut-être pas la chance d’être remarqués. « Nous ne pouvons pas passer outre la rentrée de septembre, c’est un fait qui nous échappe un peu et les rentrées sont des moments importants qui nous soulagent, nous permettent de faire le point sur un travail mené depuis près d’une année en amont, nous sommes déjà dans la préparation de la rentrée de janvier », souligne Claire Delannoy qui exerce ses talents dans la maison Albin Michel. Les éditeurs le déplorent, mais connaissent suffisamment les arcanes de leur profession pour savoir que nul ne peut y échapper. Pour certains auteurs même, c’est le passage obligé : « Je m’inscris dans un calendrier, se réjouit Amélie Nothomb à l’approche de la fin août et de la sortie de son nouveau livre, Une forme de vie. Je vis cela comme une rentrée des classes, c’est inscrit dans ma vie. » Et le lecteur sera certainement heureux de la retrouver en pleine forme avec son nouveau roman. Depuis quelques éditions, la romancière pouvait lasser, avec ce nouveau roman, elle surprend tout en s’inscrivant dans ce qui fait sa marque de fabrique : le rapport au corps. Celui de Melvin Mapple, son nouveau héros, est obèse et rappelle avec délice Prétextat Tach, le protagoniste du premier livre d’Amélie Nothomb. Un nouveau roman que l’on lira toujours aussi vite mais que l’on n’oubliera pas.

Les lecteurs et les observateurs attendent déjà impatiemment le prochain roman de Michel Houllebecq. Annoncé pour le 8 septembre, il s’intitulera La carte et le territoire. Ce roman devrait en toute vraisemblance permettre à l’auteur de retrouver sa crédibilité. Présenté il y a quelques jours aux libraires, le livre sera un gros roman (460 pages), basé sur trois personnages, dont lui-même et un artiste contemporain qui expose la carte Michelin. Beaucoup le donnent  comme favori au Goncourt, d’autres, les mêmes le plus souvent, annoncent que Houllebecq renoue avec la verve des Particules élémentaires. Ce ne peut être que joie. On reconnaît l’auteur lorsqu’il sait s’emparer de la société, en faire un portrait acide dans un cadre narratif toujours étonnant.

Dans une rentrée relativement pauvre en « auteurs à succès », la parution du nouveau Jean Echenoz devrait réjouir. Après Ravel et  Courir, l’auteur qui avait annoncé une nouvelle « biographie »  achèvera en septembre sa « trilogie de trois vies » avec Des éclairs. Après avoir écrit sur un musicien et un sportif, Echenoz  a décidé d’investir un nouveau champ, celui de la  science. Des éclairs se base sur la vie du croate Nikola Tesla, considéré comme l’un des plus grands inventeurs de la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle. Connu pour être à l’origine de 700 brevets (dont celui du concept de radar), Tesla a surtout eu une influence dans le domaine de l’énergie, en particulier dans le transport du courant alternatif. Néanmoins, Tesla resta longtemps dans l’ombre de Thomas Edison, dont il était l’un des ingénieurs. Echenoz a une nouvelle fois décidé de se dégager du carcan de la biographie pure et dure pour investir la fiction biographique. Un livre éblouissant qui paraîtra le 23 septembre aux éditions de Minuit.

Très remarqué il y a deux ans avec la parution de Zone, une phrase fleuve de plus de 500 pages, Mathias Enard revient sur la scène le 18 août avec un roman au titre énigmatique Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants. Après avoir découvert dans une bibliothèque romaine les vies de Vasari, Enard se rend compte que Michel-Ange, le grand artiste de la Renaissance, a vécu quelques semaines à Constantinople à l’invitation du sultan Bajazet qui souhaitait qu’il dessine un pont sur la Corne d’or. En 160 pages, le jeune auteur orientaliste écrit un roman puissant sur le pouvoir, les rapports entre Occident et Orient et la création artistique.
La maison Actes Sud continue à créer la surprise, cette fois avec un roman magnifique CosmOz signé Claro. Un livre qui frappe tel un cyclone, et qui devrait survoler la production française. À l’aube du XXe siècle, l’auteur méconnu L. Frank Baum publie le premier des nombreux tomes du Magicien d’Oz. Cette recherche d’un monde merveilleux est menée par plusieurs personnages devenus depuis légendes. Claro les précipite dans les horreurs de la première moitié du XXe siècle, des tranchées de 14-18 à l’explosion de la bombe d’Hiroshima. La maison arlésienne réservera encore des surprises en publiant un nouveau roman de Claudie Gallay qui a créé l’événement ses deux dernières années avec Les Déferlantes et dont l’on promet le même destin à L’amour est une île, un polar sur fond de festival d’Avignon ; mais ses lecteurs le savent, la romancière n’écrit pas que des polars, mais des romans puissants dans lesquelles les destinées sont fatales et s’entrechoquent.

Jean-Baptiste del Amo avait subjugué de nombreux lecteurs en 2008 avec Une éducation libertine qui obtint le Goncourt du premier roman. Il publie cette année Le sel, un roman puissant, un huis clos familial imprégné des œuvres de Virginia Woolf et André Gide. Jean-Marie Laclavetine lui fait une totale confiance : « Je trouve dans ce livre le prolongement d’une œuvre commencée avec le premier livre ; il est foisonnant, ambitieux, baroque. » Ce livre est l’un des grands paris de la maison Gallimard, il pourrait être dignement relevé. L’éditeur soutient aussi avec enthousiasme le premier roman de Nathalie Kuperman Nous étions des êtres vivants, « un roman sur le monde du travail qui est d’une grande qualité littéraire ».

Grande absente depuis quelques années de la scène littéraire, Virginie Despentes revient avec Apocalypse bébé. Dans ce nouveau roman, l’auteure des Jolies choses se concentre sur une adolescence en rupture avec la société, dont la fugue est racontée par la détective privée chargée de la retrouver. « Un livre éblouissant qui est aussi une rupture pour Virginie Despentes, souligne Manuel Carcassonne, à la fois ambitieux et puissant, social et politique, il aborde tous les thèmes actuels et nous pouvons compter sur cet auteur pour que rien ne soit totalement politique correct. » L’éditeur soutient aussi activement deux nouveaux premiers romans : Requiem pour Lola rouge de Pierre Ducrozet et Elles vivaient d’espoir de Claudie Huizenger. Claire Delannoy apportera quant à elle une attention toute particulière au deuxième roman de Victor Cohen Adria Les trois saisons de la rage, « une fresque normande qui s’inscrit dans le XIXe siècle et qui déborde de vitalité, d’énergie, c’est le roman d’un humaniste » insiste-t-elle.

Parmi les autres ouvrages à suivre avec attention : le nouveau livre d’Olivier Adam Le cœur régulier, l’histoire de Sarah qui se sent incomprise et de plus en plus prisonnière de sa « si parfaite » vie de famille. Elle décide de partir sur les traces de Nathan, son frère, au Japon, et s’installe dans un petit village connu pour une étrange raison : ce village est en effet le lieu d’élection de tous les candidats. Avec Demain j’aurai 20 ans, Alain Mabanckou  publie un chef-d’œuvre qui évoque sa jeunesse au Congo (Gallimard). On peut aussi retenir le nouveau roman de Marie Nimier Photo photo qui évoque une prise de vue avec Karl Lagerfeld. Auteur complexe, Antoine Volodine (Songes de Mevlido) publiera trois livres au Seuil dont un sous son nom et deux autres sous pseudonymes. Chez le même éditeur, Thomas B. Reverdy (Le ciel pour mémoire) dresse dans L’envers du monde le portrait d’une Amérique blessée, deux ans après le 11-Septembre…  

La course aux prix est déjà lancée. Rendez-vous début novembre !
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166