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Essai
L’État-Colbert
Et si la monarchie absolue de Louis XIV n’avait été qu’un mythe ?

Par Lamia el-Saad
2019 - 07

Chaque siècle a ses grands hommes, et le XVIIe n’en manque pas : Louis XIII, Richelieu, Mazarin, Colbert, Fouquet et, bien sûr, le soleil dont la lumière aveuglante éclipse tous les autres, au point que l’on parle du siècle de Louis XIV.

 

« L’État, c’est moi. » La formule est de lui. Dans sa biographie de Colbert, Daniel Dessert ose remettre en question ce principe si bien établi, et nous rappelle que le roi fut certes un géant, mais un géant entouré d’autres géants…

 

En raison de ses charges et de son « aura », Jean-Baptiste Colbert occupe une place à part. Il est celui qui rétablit les finances et l’autorité monarchique grâce à un faisceau de réformes, lesquelles soumettent les corps intermédiaires et renforcent le centralisme. Il est également celui qui restaure la puissance navale. Le complexe militaro-industriel qui accompagne l’essor de la flotte fait partie de ce que l’on appelle communément le « colbertisme », variante française du mercantilisme. Outre des responsabilités économiques écrasantes, il assume des responsabilités politiques qui ne le sont pas moins. Secrétaire d’État à la Maison du Roi, il dirige les affaires de la cour, de Paris et d’Île-de-France, ainsi que les affaires de justice et de police qui leur sont associées ; conseiller du roi en tous ses conseils et au conseil royal, surintendant des bâtiments, arts et manufactures de France, il contrôle la politique culturelle et artistique, autrement dit la propagande monarchique. En un mot comme en cent, « rien dans le royaume ne lui échappe », hormis la guerre, mais cette chasse gardée des Le Tellier dépend du bon vouloir des Finances, hormis les affaires étrangères, mais elles sont aux mains de Charles Colbert de Croissy, son frère, à partir de 1680.

 

Tout au long de sa vie, il fut un « homme de l’écrit », fuyant les mondanités. « Esprit froid, minutieux et calculateur, excellent organisateur, mais cupide et amoral », doué d’une « phénoménale capacité de travail », avec un « caractère déterminé, souvent violent, toujours caché », il est parvenu à écarter tous ceux qui le gênaient et, en premier lieu, Nicolas Fouquet.

L’auteur dénonce les nombreuses ambiguïtés de cette affaire. L’époque n’était plus au coup d’épée comme pour le duc de Guise ou au coup de pistolet comme pour le maréchal d’Ancre : l’assassinat devait donc avoir « les apparences de la légalité », ce qui supposait une sentence en bonne et due forme, rendue par une instance composée à cette fin. « Pour cela aussi, Jean-Baptiste a tout organisé : le procès débute et le verdict est prévu. »

 

Les six mois qui suivirent la mort de Mazarin virent la chute du surintendant Fouquet, l’émergence de Colbert et le début du règne personnel de Louis XIV.

 

À la mort du cardinal, le jeune roi « ignorait tout de la conduite des affaires publiques. Mazarin, son parrain, son mentor et son Premier ministre attendit pour l’éclairer les dernières semaines de son existence », ce qui lui permit de rester maître du jeu jusqu’à la fin. Ainsi, la « prise de pouvoir » du jeune Louis fut-elle, de son propre aveu, « apprentissage accéléré et découverte douloureuse ». Conscient de son inexpérience, il fut particulièrement réceptif, durant le semestre qui précéda l’arrestation de Fouquet, aux mémos, projets et avis de Colbert, alors intendant des finances. Ces textes visaient essentiellement « à discréditer Fouquet en tablant sur l’ignorance du destinataire ». Et s’il ne lui enseigna que ce qu’il estimait utile, c’est que le roi « ne comprend goutte » à la finance. « De manière globale, les lacunes, voire l’absence de formation face à des ministres aussi avertis que Le Tellier ou Lionne, face à des stratèges aussi habiles que Condé ou Turenne, font que Louis ne sera jamais à leur hauteur. Faute d’être un politique d’envergure, il n’incarne pas le pouvoir mais joue le rôle de celui qui l’exerce : le brillant des apparences cache la réalité. »

 

Après avoir éliminé Fouquet, Colbert obtiendra des charges dont le cumul fera de lui « un Premier ministre officieux ». Il exercera « le pouvoir réel quand le roi n’en aura plus que l’apparence ».

 

Spécialiste de la finance sous l’Ancien Régime, auteur de Argent, pouvoir et société au Grand Siècle et de L’Argent du sel, le sel de l’argent, Daniel Dessert a consacré une trentaine d’années à l’étude du système financier dont Colbert, succédant à Richelieu et à Mazarin, fut « l’héritier, puis le praticien le plus redoutable ».

 

Pour convaincante qu’elle soit, cette remarquable biographie est sans doute à nuancer. En effet, à en croire Dessert, l’État… c’était Colbert.

BIBLIOGRAPHIE

 

Colbert ou le mythe de l'absolutisme de Daniel Dessert, Fayard, 2019, 310 p.


 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166