Par Henry Laurens
2019 - 07
Michel Duclos
a suivi les affaires syriennes comme numéro 2 de la délégation française à
l’ONU de 2002 à 2006, puis comme ambassadeur de France en Syrie de 2006 à 2009.
Dans ses fonctions suivantes, il a maintenu ses contacts avec ce pays. Ce livre
est ainsi à la convergence des souvenirs et des analyses d’un diplomate
expérimenté. Au centre de sa réflexion se trouve la question du recours
légitime à la force, c’est-à-dire entre la «?responsabilité à protéger?» les
populations définie en 2005 et l’intervention militaire russe qui, si elle peut
être définie comme légale, se fait dans le non-respect absolu des règles du
droit de la guerre à commencer par le bombardement indiscriminé des populations
civiles.
Une première
partie est consacrée à la reprise des relations politiques entre la France et
la Syrie sous le mandat de Sarkozy. La question essentielle est comme toujours
celle des affaires libanaises. Le rôle des émissaires présidentiels, en
particulier Claude Guéant, est mis en valeur. Mais la conclusion est nette?: la
capacité d’influence des Occidentaux sur les Assad est proche de zéro?; ni la
stratégie d’isolement ni l’offre de dialogue n’ont modifié la politique
syrienne, pour la raison simple que c’est la nature du régime qui détermine
cette politique.
La deuxième
partie porte sur la nature du régime?: un système totalitaire fondé sur une
matrice tribale. Le premier cercle est la famille Assad qui se considère comme
propriétaire du pays et Bachar est bien le chef de cette famille. Le deuxième
cercle est constitué des services de renseignements et des milieux affairistes
qui vivent en complète symbiose. Le troisième cercle est la «?Syrie
officielle?» avec le Baas et l’appareil d’État. Tous ces fonctionnaires ne sont
que des «?employés?» des deux premiers cercles.
La
contradiction du régime se situe dans le fait qu’en même temps il se considère
comme propriétaire du pays et comme illégitime, d’où le recours immédiat à la
violence plutôt qu’à la concession politique. La guerre civile se comprend dans
ce cadre. Elle s’est rapidement mondialisée du fait de la pluralité des acteurs
extérieurs, mais le fil directeur se trouve dans l’asymétrie des interventions
extérieures?: soutien total de la Russie et de l’Iran au régime, actions
troubles des puissances sunnites vis-à-vis de la rébellion, mollesse sur tous
les fronts des Occidentaux. Plusieurs fois le régime de Damas a été au bord de
l’effondrement et a été sauvé par ses parrains extérieurs. L’opposition
démocratique a été progressivement annihilée au profit d’une
confessionnalisation/mondialisation du conflit. Les Occidentaux, qui ne
voulaient pas intervenir sur le terrain, ont été contraints de le faire par la
lutte contre l’État islamique.
La quatrième
partie est consacrée à un portrait de Bachar al-Assad. L’homme a été très
longtemps sous-estimé. Il a bien été formé pour prendre la direction des
affaires. C’est la nature même du régime, incapable de concevoir autre chose
que de mater le soulèvement au prix de la destruction du pays, qui a fait de
lui un criminel de masse?: «?Dans ce paysage après la bataille, Bachar al-Assad
lui-même n’est plus guère qu’un seigneur de la guerre, tributaire des subsides
des nouveaux affairistes, exerçant un pouvoir encore plus personnel mais sur un
espace réduit d’une part en raison du découpage du pays en zones d’influence et
d’autre part du fait des interférences iraniennes et russes dans tous les
domaines.?»
Seul le
pouvoir compte pour lui. Il gagne du temps sans rien céder puisque le premier
impératif est de survivre. Il procède à un remodelage démographique du pays
avec l’installation de populations chiites dans les régions clé et le
non-retour de la plus grande partie des réfugiés à l’extérieur. L’expérience a
montré qu’il était vain de dialoguer avec lui, mais il continuera de jouer
longtemps sur sa capacité de nuisance.
Ce livre d’un
peu plus de 200 pages est d’une très grande clarté d’expression. Les portraits
comme les analyses nous disent des choses effrayantes, d’où la nécessité de le
lire pour dissiper les dernières illusions que l’on pouvait avoir.
BIBLIOGRAPHIE
La Longue Nuit
syrienne de Michel Duclos, éditions de l’Observatoire, 2019, 240 p.