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Essai
Napoléon, croyant à géométrie variable


Par Hervé Bel
2019 - 04


«Encore un livre sur Napoléon ! » pourrait-on se dire avec lassitude… On aurait tort. Pour sa première publication, l’historienne Marie Courtemanche n’a pas hésité à traiter du sujet difficile, complexe, passionnant des rapports entretenus par Napoléon avec le sacré. On a dit tout et son contraire à ce sujet. Pour les uns, il est croyant, fondamentalement catholique, voire un saint. Pour d’autres, il est l’incarnation de l’antéchrist, l’archange de la mort. C’est que Napoléon n’a cessé au cours de sa vie d’adresser à la postérité des signaux contradictoires. 

L’ouvrage bien documenté tente d’y voir plus clair en abordant, peut-être parfois de manière trop scolaire, tant la politique religieuse menée par l’Empereur que ses convictions intimes qu’il dévoila surtout à la fin de sa vie à Sainte-Hélène, quand cet homme d’action n’eut plus que la pensée pour dérivatif.

Une chose est sûre : le sacré a tenu dès le début de sa vie une place importante. La famille Bonaparte compte de nombreux prêtres depuis la Renaissance, dont son oncle Fesch qui deviendra cardinal. Laetitia, sa mère, est profondément pieuse. Le petit Napoléon ira ainsi tous les dimanches à la messe. Il en retirera le goût de la pompe et du faste. À l’école de Brienne, il continue de baigner dans la religion. Plus tard, il se rappellera avec nostalgie des cloches qui l’appelaient à la prière. Il dira aussi : « La religion, c’est revoir la patrie. »

Mais voilà, jeune homme renfermé, solitaire, il est aussi grand lecteur et découvre les Lumières avec Rousseau et Voltaire. Alors tout change. Il embrasse la Révolution et même éprouve pour Robespierre une certaine sympathie (il sera d’ailleurs arrêté après le 9 Thermidor puis relâché). Cette affinité n’est pas un hasard : Robespierre, ennemi du catholicisme, est également convaincu de la nécessité d’un culte qui puisse imposer une morale supérieure à l’individu afin d’éviter l’anarchie. Cela aboutira à la fête de l’Être suprême qui ne convaincra personne, et pour cause, beaucoup de Français sont encore attachés au catholicisme.

Quand il prend le pouvoir en 1799, le jeune consul trouve une France déchirée entre les idéaux de la révolution et la tradition religieuse. Il comprend très vite qu’il ne peut gouverner sans unir les Français. En 1801, il signe avec Rome, au grand dam des révolutionnaires, le Concordat dans lequel le catholicisme est reconnu comme « la religion de la majorité des Français ». La formulation n’est pas, quoi qu’on ait dit, un retour au passé. Le catholicisme n’est plus en effet la religion officielle. D’autres cultes existent que l’État se doit de protéger. Il fonctionnarise les prêtres, mais aussi les pasteurs. Il promeut également des lois pour organiser le judaïsme.

Ce qui frappe chez Napoléon, c’est sa tolérance en matière religieuse. Il n’a aucun préjugé. En Égypte, il s’est lié avec les ulémas, et s’est même targué un moment de vouloir devenir musulman. Attitude certes avant tout politique, mais l’intérêt intellectuel du jeune général était sincère. Il admirait Mahomet qu’il tenait pour un grand réformateur. 
Politique… Le mot explique l’attitude de Napoléon vis-à-vis de Rome. Lui-même se dit catholique. Pie VII vient l’oindre lors du couronnement du 2 décembre 1804, ce qui ne l’empêche pas de compter parmi ses proches des révolutionnaires « pur jus » comme Fouché. Quand il estimera que Rome lui met des bâtons dans les roues, il fera interner le pape en France et sera excommunié. Philippe le Bel, bien avant lui, avait agi aussi violemment avec Boniface VIII.

Il respecte le catholicisme pour autant qu’il ne soit pas inféodé au Vatican. On a voulu y voir un anticléricalisme radical. Marie Courtemanche a raison de rappeler que ce gallicanisme appartient à une vieille tradition française héritée de la royauté. Dans l’espace privé, chacun est libre de croire ce qu’il veut. Dans la sphère publique, le citoyen, prêtre ou non, doit servir l’État. En cela, il ne fait qu’appliquer ce que Jésus avait dit lui-même : rendre à César ce qui était à César.

Napoléon était-il croyant ou non ? À Sainte-Hélène, il affiche sa profonde admiration pour Jésus. Il reconnaît le caractère « admirable » du christianisme. Ailleurs, il dit encore que l’Évangile « n’est pas un livre, c’est un être vivant avec une action, une puissance qui envahit tout ce qui s’oppose à son extension ». À Sainte-Hélène, il parle souvent de la mort. Il ne la craint pas, mais il est curieux. Tantôt il affirme l’existence de Dieu, tantôt il la nie, constatant que l’homme est peu de chose dans l’univers. Mais quand vient la maladie, il demande à mourir chrétiennement. Il dit : « Je suis né dans la religion catholique, je veux remplir les devoirs qu’elle impose et recevoir les secours qu’elle administre. » Marie Courtemanche y voit une manœuvre politique destinée à lui rallier les Français et lui donner une espèce d’aura de martyr. Simple affirmation : que sait-on d’un homme qui va mourir ?

L’auteur le qualifie de « déiste de conviction matérialiste ». Peut-être. Mais l’on peut songer aussi à cette phrase admirable de Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé. » Et force est de reconnaître que Napoléon a cherché Dieu toute sa vie. À sa manière.
 
 
 BIBLIOGRAPHIE  
Napoléon et le sacré de Marie Courtemanche, les éditions du Cerf, 2019, 377 p.
 

 
 
 
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