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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Les résistances de Chibli Mallat


Par Michel Hajji Georgiou
2019 - 02


«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître – et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », écrivait Gramsci. 

Certes. Mais c’est aussi dans ce même clair-obscur qu’apparaissent fort heureusement les gardiens du temple, pour éviter de sombrer entièrement dans « les affres de l’Imprévisible » et tenter de surmonter notre impuissance, ressentie comme une profonde iniquité, à « lire dans les graines du temps », comme Macbeth. 

L’un de ces gardiens du temple, celui de la raison, de l’humanisme, de la non-violence et de la résistance culturelle contre tous les visages de la servitude – au sens voulu par le grand manitou de cette idée, feu Sélim Abou – est sans conteste aujourd’hui Chibli Mallat. 

Dans un recueil d’articles près de 400 pages intitulé Boussole, en écho à une rubrique remarquée, marquante, singulière et cinglante tenue dans L’Orient-Le Jour deux ans durant et dédié à sa mère, l’avocat et juriste s’aventure en touriste-philosophe dans le monde (agonisant) du journalisme, dans un Liban, voire un monde lui-même à bout de souffle et de sens, assis au bord du précipice des neuf cercles concentriques de l’enfer.

Pourtant, en dépit de ce blizzard, Chibli Mallat, armé de sa culture généreuse et chaleureuse, de son attachement à la règle de droit et d’un optimisme lucide, contagieux, curatif, parvient à nous livrer, avec ces textes épars – mais pourtant animés par un même fil conducteur, une même soif de créer un sanctuaire intellectuel où il serait encore possible de rester accroché à une certaine humanité, un certain sens de l’humanisme – un véritable manuel pour « vivre avec l’inéluctable défaite », comme dirait Leonard Cohen : débâcle contre la haine, la bigoterie, le populisme, l’injustice, la tyrannie ou encore la violence aveugle, la répression sanglante, l’abjecte cruauté, et cet insupportable retour du fascisme à cheval – façon Aoun ou Trump – dans l’Histoire, comme un pied de nez magistral à la gnose hégélienne. La galerie de « héros » auxquels il rend hommage dans une humble série de portraits au bout de son ouvrage n’est ainsi que l’expression de cette volonté de préserver un éclat d’une beauté fugace mais puissante qui ne sera jamais plus : Méliné Topakian, Pierre Safa, Albert Sara, Joseph Donato, Robert Fossaert, Pierre Neema, René Chamussy, Sadek Jalal el-Azm, Samir Frangié ou encore Razan Zeïtouné.

Dans un monde de plus en plus éclaté, replié sur lui-même, protectionniste, isolationniste, étanche et rongé par l’intolérance, l’identitarisme et le néonationalisme, Chibli Mallat, porte-étendard de l’homme cosmopolite et transfrontalier, oppose une résistance lumineuse par l’esprit et le verbe, pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. En clair, sauver les aspects positifs de la mondialisation, à savoir la culture des droits de l’homme et le libre flux des idées, des opinions et des hommes, à l’heure du reflux du néolibéralisme et du retour à un culturalisme primaire et ségrégationniste, sous l’impulsion principalement de la démission de l'Occident des Barack Obama en tous genres dans sa mission antérieure de changer le monde, et d'un repli identitaire, qui mène immanquablement à la logique du retranchement dans les forteresses et pave la voie aux tambours de la guerre. 

Aussi, ami à la recherche d’une Étoile du Nord pour te guider jusqu’au bout de cette Nuit infinie, puissent les mots infatigables et indomptables de Chibli Mallat te servir de boussole : ces mots, ceux de la résistance à la laideur, la malveillance, la bêtise et la médiocrité, sont faits de sagesse – et le cœur et l’esprit ont plus que jamais besoin à l’heure actuelle de ce baume magnifique pour que la lumière et la beauté puissent continuer à entrer.
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
 
boussole et autres journalismes de Chibli Mallat, éditions Bada’eʻ, 2019.
 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166