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Essai
Thierry Lentz : « Waterloo, c’est la fin d’une époque, de la Révolution et de l’Empire. »


Par Jean-Claude Perrier
2015 - 05
Juriste de formation, professeur, historien, Thierry Lentz, né en 1959, est spécialiste du Consulat et du Premier Empire à qui il a consacré de nombreux ouvrages, dont une Nouvelle histoire du Premier Empire en deux volumes (Fayard, 2002-2004). Il est également directeur de la Fondation Napoléon. Auteur de Waterloo 1815, il fait le point, pour L’Orient Littéraire, sur la célèbre bataille, ses conséquences, et, plus globalement, sur le bilan du règne de Napoléon. Sans langue de bois.

Pourquoi cet engouement aujourd’hui à célébrer Waterloo ?

Bien que ce soit la plus grande défaite de l’armée française avant 1840, totale et meurtrière (11000 morts côté français en quatre jours de campagne, dont 6500 juste à Waterloo, soit 10% de l’armée de Napoléon), c’est une bataille que les napoléoniens aiment considérer comme une « défaite glorieuse ». Napoléon lui-même en a fait l’histoire, dans le premier volume de ses Mémoires dictés à Gouraud, publiés en 1818, où il passe en revue tous les responsables de la défaite (Grouchy, Ney…), sauf lui ! C’était la bataille de trop, un coup de poker qu’il a perdu, et dont il savait qu’il lui serait fatal. Waterloo, c’est la fin d’une époque, de la Révolution et de l’Empire.

Quel bilan dressez-vous du règne de Napoléon Bonaparte ?

Sur le plan extérieur, c’est l’échec du projet d’un homme, commencé sous Louis XIV, de faire de la France la plus grande puissance en Europe. Napoléon était une espèce de Martien, personne n’étant à son niveau, et qui n’a plus écouté personne après avoir renvoyé Talleyrand. Il a commis de graves erreurs : la guerre en Espagne, la campagne de Russie, le refus de la paix avec les Anglais en 1806, puis encore en 1813-1814. À l’intérieur, sa réussite est d’être parvenu, en deux ans (1800-1802), à en finir avec la Révolution, à doter la France d’institutions modernes, solides, comme le Code civil, qui font encore la France d’aujourd’hui. En 1815, la France, très endettée, était en train de redevenir très riche, son économie était en bon état, notamment grâce au commerce colonial, et sa démographie à la hausse : contrairement à une idée reçue, les guerres napoléoniennes n’ont pas « saigné » le pays. Rien à voir avec 1914-18. En revanche, sur le plan diplomatique, c’était fini. La France, revenue à ses frontières d’avant la Révolution, ne sera plus jamais une grande puissance mondiale sans l’aval des Anglais.

Pourtant, Napoléon Bonaparte semblait avoir une vision géopolitique planétaire, dès la campagne d’Égypte, en 1798.

Toute la société de l’époque rêve d’Orient, et l’idée d’aller couper la route des Indes aux Anglais est de Talleyrand. La campagne s’est achevée sur un échec militaire, et Bonaparte a pris la fuite. En revanche, d’un point de vue culturel, les conséquences furent positives. La description de l’Égypte, c’est une réalisation fabuleuse. Il a aussi tenté de dicter ses vues au royaume du Maroc, une vieille monarchie très organisée, fondée en 790. Mais son interventionnisme a poussé le sultan dans les bras des Anglais. Quant à la Perse et à l’Empire ottoman, il a voulu s’en faire des alliés, un temps, contre les Russes, mais sans suite. Napoléon avait, en effet, une vision globale du monde, sauf des États-Unis, auxquels il n’a rien compris. On lui doit aussi la fameuse formule : « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera. »

À votre avis, la France doit-elle célébrer la défaite de Waterloo ?

Sous Chirac, qui n’aime pas Napoléon (De Gaulle ne l’aimait pas non plus), on n’a pas célébré ses victoires. Aujourd’hui, le roi des Belges a invité tous les chefs d’État européens le 18 juin à Waterloo. La moitié a déjà répondu positivement. Le Président de la République française doit, selon moi, y aller, mais en expliquant pourquoi, et ce qu’on commémore. Non point une défaite, mais la fin d’une période de conflits incessants.




 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Waterloo 1815 de Thierry Lentz, Perrin, 2015, 110 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166