Par Antoine Boulad
2019 - 07
Le Prix Goncourt
de la poésie qui, contrairement à son frère romanesque, couronne l’ensemble
d’une œuvre, vient d’être attribué à Yvon Le Men. Parmi ceux et celles qui
l’ont précédé dans cette prestigieuse distinction, il y a des poètes que les
colonnes de L’Orient littéraire ont accueilli(e)s : Yves Bonnefoy, Guillevic,
Estéban, Andrée Chedid, Vénus Khoury, Jaccottet ou Marc Alyn.
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Force est d’en
prendre acte : le parti pris du Goncourt est de privilégier la poésie hors du
vase clos qui fait éclater le langage au profit de l’universalisme du mot dans
sa simple nudité, telle une main tendue vers autrui, vers l’« ami de l’autre
côté de l’océan ».
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Dans l’un des
plus récents recueils intitulé Un cri fendu en mille, mais également dans
l’ensemble de son œuvre qui compte plus de vingt-cinq titres, Yvon Le Men
inscrit sa poésie dans la tradition d’un Blaise Cendrars dont le martellement
des mots fait écho à la marche de la terre humaine, à la cadence des départs et
de l’amitié, au « tour du monde en 80 poèmes », de « Saint-Malo à Bamako, de
Sarajevo à Sao Paulo », jouant au cerceau avec les fuseaux horaires, le poète
voyageur se fait « passeur des poètes ».
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Car notre globe
est « un par l’air par le feu, sur la terre et sur l’eau » et si les « noms
claquent sur la carte », c’est parce que notre humanité est unique sur la face
de toute chose. Le Men va au « chevet du regard ». Les continents que le poète
traverse pour se « mêler aux conversations qui parcourent le monde » sont des
« radeaux perdus » comme l’évoque le sous-titre du recueil. Et Le Men témoigne.
Dans son prologue, il cite Jean Malrieu pour fonder sa déontologie poétique :
« Un étranger est venu qui raconte notre vie ». Les douleurs des peuples et des
individus l’ont « ravagé ». Et si ses récits apportent un brin de clarification
et de fraternité, ce sera cela de gagné sur la confusion.
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Partir. Par
empathie. Mon pays « (…) que j’ai envie de quitter pour le retrouver, de le quitter
encore pour le retrouver encore, mais à la vitesse de la lumière, par les yeux
les bras les mains par le corps tout entier qui sera l’autre corps comme on
sert son pays natal dans les bras ».
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Et Beyrouth. Et
la Palestine.
Dans un poème
qu’il consacre au Liban, Le Men a cette belle formule au sujet des Libanais
qu’il qualifie de « nom fragile de l’humanité ». « Le pays des cèdres coud le
ciel avec la terre ». Les Libanais « se partagent leur pays avec Dieu/qu’ils
découpèrent en morceaux/entre le 14 avril 1975 et le 13 octobre 1991 ».
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Au sujet des
Palestiniens que le poème intitulé « Un peuple de trop sur la terre » rend à la
vie selon de l’exergue de Mahmoud Darwich : « Les camps de Sabra Chatila qui ne
sont pays nulle part sur la carte/ mais sont les pays de ceux qui n’en ont
pas/n’en ont plus ».
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Dans l’aéroport
de Doha, Yvon Le Men ne recule pas à recopier le tableau électronique des
départs :
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« 5h30 Istanbul/6h30 Phuket/6h35 Londres/
6h40 Tokyo… 7h15 Irbil/ 7h20 Singapour/ 7h25 Milan/ 7h30 Paris ». Le transsibérien avec toute sa prose est
si loin de Montmartre. Le Prix Goncourt de la poésie ne recule pas à casser la
baraque de l’expérimentation, surréaliste ou autre, en faveur d’un monde qui
n’est globalisé que par le cœur.
 BIBLIOGRAPHIE
 Un cri
fendu en mille d’Yvon Le Men, Bruno Doucet, 2018, 160 p.