FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Poésie
Joyeux anniversaire Sylvia !


Par Ritta Baddoura
2016 - 01
Birthday Letters laisse transparaître ce que Hugues a dû développer de ressources affectives et mentales pour coexister avec la présence puis l’absence de Sylvia Plath. Les démons de la jeune femme : la mort jamais dépassée d’un père adoré, ses continents inextricablement noirs d’écriture, sa passion tourmentée avec Hugues, l’utopie d’une vie familiale avec leurs deux enfants ; ces démons débordent d’elle et envahissent Ted Hugues. Il ploie sous les difficultés et les culpabilités diverses dont celles d’échouer à percevoir les signes précurseurs des descentes aux enfers de Sylvia, puis de les observer impuissant, et enfin de s’en détourner. Des expériences auxquelles le style épuré, l’hermétisme des figures évoquées, le rythme intimiste de la voix du poète, confèrent une dimension mythologique, voire ésotérique selon certains critiques.
« Un grand oiseau ‒ toi/ A fait irruption, ton enthousiasme pour plumage/ Ton exaltation délirante. Une tension bleutée ‒/ Cobalt fluorescent, le flamboiement d’une aura. / (…) Sous son dôme de verre, derrière ses yeux,/ Ton Oiseau de Panique n’était pas empaillé. Il paraissait en quête/ De quelque chose, tu ne savais pas quoi. Je le devinais/ Dérouté par le verre, ce mur invisible./ Un gecko de zoo collé contre le néant,/ Avec toute la vie battant dans sa gorge,/ Comme s’il se tenait sur l’éther.../ Tu m’as tout raconté/ Sauf le conte de fées. Pas à pas/ Je suis descendu dans le sommeil/ Dont tu essayais de te réveiller. »

Événement sans précédent dans l’histoire éditoriale de la poésie, Birthday Letters se vend à plus de cinq cent mille exemplaires à sa parution en 1998. Si Ted Hugues est considéré comme l’un des plus grands poètes anglais du XXe siècle, ce succès est en partie tributaire du fait que Birthday Letters reste perçu comme sa réponse aux virulentes critiques féministes qui le tiennent responsable du suicide de son épouse. Ces 88 lettres adressées à l’aimée disparue rompent, quelques mois avant la mort de Hugues, un long silence obstiné. Au fil des lettres, tout se passe comme si le poète ne cherchant plus vainement à s’affranchir du halo obsédant de Plath, en fait sa matière poétique même.
« Chacun de nous/ Sécrétant un venin spécial empoisonnant l’âme de l’autre,/ Chacun de nous était un pieu/ Qui empalait l’autre. »
« Je m’accrochais à toi, me nourrissais de toi – drogué, chargé/ De tes cauchemars et de tes terreurs./ À l’intérieur de ta Cloche de Détresse,/ J’étais comme un nain dans ton globe oculaire. »

Birthday Letters se dévide en une introspection systématisée, faite de questions et d’hypothèses censées exorciser la stupeur et l’emprise dans lesquelles la rencontre avec Plath puis sa disparition jettent Hugues. Les poèmes examinent l’énigme : de l’amour, du souvenir, de la dépression, du Minotaure délirant dans le labyrinthe de l’écriture, de la récurrence des signes, du présent ravagé par le passé et endeuillé d’ores et déjà par un futur impossible, du sursaut qui vous fait déguerpir lorsque rôde la mort. Faisant écho par un essaim encodé de symboles à l’univers poétique de Plath, Birthday Letters trace un aveu : somptueux mausolée, souvent troublant poème.
« Tu étais comme une fanatique religieuse/ Privée de dieu, incapable de prier./ Tu voulais être écrivaine./ écrire ? Qu’est-ce qui, en toi,/ Devait conter son histoire ?/ Le récit qui doit être raconté,/ C’est lui le Dieu de l’écrivain, à voix très basse/ Il réveille la nuit : “Écris”./ Écris quoi ? (…) Alors tu t’es mise à écrire, pleine de rage, en larmes,/ Ta joie comme une transe, une danse/ dans la fumée dans les flammes./ “Dieu parle à travers moi”, m’as-tu dit./ “Ne dis pas cela !”, Ne dis pas cela ; / (…) J’ai regardé. Tout a été consumé/ Dans les flammes de ton sacrifice/ Qui ont fini par s’emparer de toi, et t’ont fait disparaître, exploser/ Dans les flammes/ De l’histoire de ton Dieu/ Qui t’a enlacée/ Avec Papa et Maman./ Dieu aztèque, Dieu de la Forêt Noire,/ Ton Dieu du Chagrin qui ne parle pas. »


 
 
Sylvia Plath et Ted Hughes pendant leur lune de mi
 
BIBLIOGRAPHIE
BIRTHDAY LETTERS de Ted Hughes, traduit de l’anglais et préfacé par Sylvie Doizelet, Poésie/Gallimard, 2015 (première parution en 2002), 288 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166