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Poésie

La nouvelle anthologie de la poésie contemporaine fait sa sortie printanière chez Seghers. Les 125 auteurs qui y sont présentés tracent les contours foisonnants d'un jardin dans lequel il fait bon se promener. Et se perdre parfois.

Par Ritta Baddoura
2007 - 05
«?Au royaume des anthologies, les statisticiens sont rois [...]?» tire Bruno Doucey du bout de son avant-propos de L’année poétique 2007. Serait-ce blasphème que d’avouer qu’au-delà des écrits des 125 poètes sélectionnés et présentés par Patrice Delbourg et Jean-Luc Maxence pour l’Anthologie Seghers, c’est l’avant-propos de Doucey qui retient surtout l’attention?? S’il pose?:

«?Qui entre dans la maison des poètes craint de devoir passer par une porte étroite pour se perdre ensuite dans un labyrinthe?», il valse vertigineusement à tort et à raison. Effectivement, ce sont moins les choix effectués par Delbourg et Maxence qui tissent le fil d’Ariane aux détours du labyrinthe, comme il semble le croire, mais plutôt son propos admirable qui libère la pelote piquante des publications poétiques 2007 pour révéler et défendre et flatter un panorama «?aussi représentatif que possible de la poésie contemporaine […] de l’année écoulée?». La nouveauté apportée par l’Anthologie Seghers est de dégager le relief de ce panorama pour mettre au jour, en fin d’ouvrage, un annuaire des revues, éditeurs, adresses électroniques, maisons et prix littéraires consacrés à la promotion et la diffusion de la poésie.

Avec le brio de l’avocat et l’empathie du psychologue, Doucey devance les éventuels détracteurs de la présente publication et traite des choix sous-tendant la conception d’une anthologie?: motivations personnelles, limites de l’objectivité, parité homme/femme au niveau des poètes sélectionnés, frustration et ressentiment des exclus, déboires de la colonisation, dus de la langue française aux pays francophones, statut du slam quant à la poésie, pluralité du secteur éditorial (petites et moins petites maisons d’édition, revues littéraires, maisons de poésie). Peu d’impasses échappent à sa loupe, laquelle oriente un verre sur chacune des deux rives?: celle où défilent les élu(e)s de l’Anthologie Seghers comme celle le long de laquelle filent les oublié(e)s.

Doucey avance sans détour. S’il rappelle que la présence poétique repose de plus en plus sur l’audace déterminée et «?les ressources d’une poignée d’hommes et de femmes entrés en résistance?», ressources d’ailleurs «?inversement proportionnelles?» à la créativité déployée, il dénonce les virus qui menacent la santé de la poésie et se fonde sur cette malencontreuse conjoncture afin d’écrire que «?[…] des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles?». Il déplore les pierres dures des crises éditoriales, médiatiques, économiques, communautaristes culturelles et «?l’atomisation des forces en présence, les querelles d’écoles?», qui taillent aujourd’hui les haies du labyrinthe poétique. Sous sa plume, ce dernier ressemble de plus en plus à un jardin anglais.

Jardin anglais où chaque îlot de l’espace francophone cultive ses rosiers?: la France, la Suisse, la Belgique, le Québec, le Maghreb, le Liban, l’Afrique noire, les territoires de l’océan Indien et des Antilles, et aussi l’Irak-greffé embaument. Archipel verdoyant à multiples entrées, ce qui en élargit l’accès à la fois aux poètes et aux lecteurs. Cap de quelle espérance??

Il y a les rosiers rigidement taillés, à l’aspect correct, aspergés d’eau de rose. Il y a les rosiers dont l’allure romanesque a un sillage lyrique décoloré. Les rosiers-sapins avec du papier mâché de noms propres (personnages illustres, lieux, marques industrielles…) pour seul passeport, destination poésie. Les rosiers touffus et moelleux dépourvus de branches pour que la mésange y fasse son nid. Les rosiers parfaits, sophistiqués, au-dessus desquels aucune abeille ne vient ronfler. Les rosiers pareils aux circonvolutions cérébrales. Les rosiers dont les roses ont des grâces ordonnées et sans épines. Les rosiers qui ressemblent à tant d’autres rosiers. Les rosiers qui sont le miraculeux produit de greffes de tous les rosiers existants. Les rosiers qui ne sont pas des rosiers. Couronnes de fleurs. Comme dans ces précédents paragraphes, l’énumération est une caractéristique obsessive et obsédante des textes présentés par?L’année poétique 2007. L’effeuillage jusqu’à l’épuisement des figures de style autour d’un même concept ou objet, aussi. Les formes et les procédés par ailleurs adoptés sont divers?: sculptures minimalistes, effusion de prose, aphorismes, jeux de mots malins, concepts lumineux creux?: dans les coulisses du jardin anglais se trouve un laboratoire cosmopolite où les essais poétiques ont par moments des effets piteux.

En ses parterres alternés de béton et de verdure, l’écriture des divers poètes de l’Anthologie Seghers laisse cependant transparaître une poussée centripète commune, une difficulté qui est autant une quête contemporaine d’être au cœur de soi. Lorsque cette difficulté perd en la plupart des textes présentés le fil de sa voix, certains poètes sélectionnés, peu nombreux d’ailleurs, ont un timbre qui étonne. Ils consolent le minotaure. Ils s’élèvent avec des ailes cousues aux bobines solaires. Poésie. Nous ne dirons pas lesquels..




 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
L’année poétique 2007 de Patrice Delbourg et Jean-Luc Maxence, Anthologie Seghers, 2007, 360 p.
 
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