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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les Mémoires de Facardino


Par Lamia el-Saad
2020 - 04

Auteur d’essais politiques sur le Liban et le Proche-Orient, Carole Dagher a fait du roman historique sa marque de fabrique. Sa trilogie (Le Couvent de la lune, Le Seigneur de la soie, La Princesse des Batignolles) a rencontré un succès local et international. Il en est de même pour son roman Le Testament secret de Moïse (2011).

Curieusement, Carole Dagher a choisi d’écrire son dernier roman à la première personne du singulier. Il ne s’agit de rien de moins que des Mémoires que l’émir aurait pu écrire. Qui mieux que Fakhreddine II lui-même aurait bien pu lever le voile sur le pan le plus méconnu de son histoire ? Qu’a-t-il donc fait, qu’a-t-il vécu durant son exil ? La vie d’un émir ne lui appartient pas, elle appartient à son peuple. Parce qu’il ne gouvernait pas entre 1613 et 1618, ces années-là sont sans doute celles qui lui ont le plus appartenu.

C’est une plongée dans l’Italie des Médicis, héritière de la Renaissance, que nous offre l’auteur. Une Italie où tout est émerveillement. La richesse et la justesse des descriptions sont telles que le séjour de Fakhreddine II est, pour le lecteur qui voit à travers ses yeux, un merveilleux dépaysement. Dagher réussit à trouver un savant équilibre : alternant la densité des descriptions et la fluidité des dialogues. Et ce sont des dialogues criants de vérité, dans une langue française émaillée d’italien et d’arabe, parce que certains mots sont intraduisibles et que le cœur se refuse à en traduire d’autres.
Étranger dans un pays où l’on peut rencontrer l’amour mais aussi Galilée, logé au Palazzo Vecchio, sans cesse ébloui par le beau et le bien, l’émir n’oublia pas que cette parenthèse enchantée était un exil. Jamais inactif, il s’efforça de nouer des alliances et d’échafauder des plans qui lui permettraient de revenir (et de revenir en conquérant !) au Mont-Liban.

Comment rester indifférent à une telle profusion de chefs-d’œuvre ? Et comment rester le même ? Facardino n’était pas tout à fait Fakhreddine II. Celui qui regagne son émirat en 1618 n’est plus celui qui l’avait quitté en 1613. L’alliance qui l’unissait aux Médicis était commerciale, politique et militaire, elle était également artistique. Il découvrit à leur contact la place que tiennent l’art et le mécénat dans l’exercice du pouvoir. Désormais convaincu que « le meilleur conseiller d’un prince devrait être un artiste », il ne manqua pas, après son retour au Mont-Liban, de faire venir d’Italie des architectes, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des médecins, des paysagistes, des agriculteurs et des horticulteurs. Choisissant de s’installer dans le « gros bourg » qu’était Beyrouth « assoupie derrière ses murailles dans la vétusté de son infrastructure de port », il s’appliqua à la « sortir de sa torpeur, secouer la poussière des siècles ».
Si l’émir se confie sans détours en ce qui concerne les intrigues de cour, les nombreuses trahisons dont il fut victime, son pire ennemi Youssef Sayfa dont il épousa la nièce, ses relations conflictuelles avec les pachas ottomans, la duplicité nécessaire à sa politique, ses conquêtes militaires (il a élargi les frontières de l’émirat dans le sens des quatre points cardinaux) et même ses amours, il est un sujet qu’il effleure sans vraiment l’aborder : celui de sa religion et notamment de son hypothétique conversion au christianisme. Certes, il avoue aimer s’asseoir dans des églises, mais cultive le mystère, laisse courir la rumeur, planer le doute…

Carole Dagher nous propose un récit historique où le vrai et le faux sont intimement et inextricablement mêlés. Il est, de fait, particulièrement difficile de faire la part des choses tant la vie de Fakhreddine II est digne d’un roman, tant la réalité dépasse (et de très loin !) la fiction.


 
 
L'Invité Des Médicis de Carole Daher, éditions Philippe Rey, 2020, 327 p.


 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166