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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Thriller wallon


Par Hervé Bel
2020 - 03

Lire La Disparue de l’île de Monsin, c’est être assuré d’un grand plaisir. On garde, longtemps, le souvenir de l’intrigue et, ce qui est très rare, le bien-être qui a accompagné la lecture, car ce livre est un vrai ravissement. Préparez-vous un thé ou un café, installez-vous confortablement, et commencez-le. Vous comprendrez.

Armel Job n’en est pas à son coup d’essai?: il est l’auteur de plus d’une vingtaine de romans plusieurs fois récompensés?; notamment par le prix Simenon. Cela n’a rien de surprenant?: dans les œuvres d’Armel Job, la description des êtres et des atmosphères compte autant que l’histoire, d’où cette immersion totale du lecteur et l’émotion qui le saisit, jamais oubliée. D’ailleurs, le seul titre La Disparue de l’île de Monsin est évocateur?: poétique, il annonce le mystère.

Nowak Jordan est accordeur et loue des pianos dans les Ardennes. Durant l’hiver 2012, il prête un de ses pianos à queue pour un récital à Liège organisé par un prêtre jadis sartrien (!). À l’issue de la représentation, plutôt que de retourner chez lui où l’attend sa femme Edith et ses deux garçons, il prend le chemin d’un hôtel qu’il a réservé pour la nuit. «?Plus il descendait vers la vallée, plus la neige tombait dru. Les flocons se ruaient contre les phares comme s’ils tentaient de les étouffer de leur blancheur (…) La voix placide du GPS l’invita à s’engager sur le pont-barrage de l’île de Monsin.?» C’est alors qu’il aperçoit près du parapet une silhouette battue par la neige, effrayante parce qu’elle est immobile, comme un fantôme ou une morte. Il s’arrête, craignant qu’il s’agisse d’un suicide à venir. L’inconnue est une jeune femme. Il lui demande «?Ça va, madame???» Elle répond que non, et c’est alors que Jordan remarque qu’elle a une trace de sang sur la joue. Fin de la scène.

Le lendemain de cette rencontre, Helga Krauss, se rend à l’hôtel de police pour déclarer la disparition de sa fille Eva dont elle n’a plus de nouvelles depuis douze jours.

Un jeune inspecteur fort zélé est chargé de l’enquête et suit plusieurs pistes, dont l’une se rapporte à la mort tragique, un an plus tôt, de deux petites noyées dans la Meuse?: Eva, la disparue, a-t-elle un lien avec cette histoire?? Après cette ouverture en thriller, l’auteur va nous amener à connaître tous ceux qui ont approché cette silhouette du pont de Monsin.

Au fond, la question lancinante posée par ce roman est la suivante?: connaît-on vraiment ceux qui nous sont proches?? Est-ce même possible?? Peut-être bien que le mystère ne concerne pas seulement la disparition d’Eva, mais aussi tous les êtres qu’elle a pu côtoyer, et qui, comme dans un Agatha Christie, ont tous quelque chose à cacher. 
Nowak Jordan d’abord, dont le comportement change brutalement au sein de sa famille. Puis le voisin de la mère de la disparue, un certain Wolf qui a eu dans le passé une affection profonde, peut-être ambiguë pour la disparue alors très jeune… Quant à la mère d’Eva, a-t-elle vraiment la conscience tranquille?? Certes, il y a forcément un coupable dans cette affaire…. À moins qu’ils ne le soient tous, indirectement, par cette chaîne qui lie les hommes, et fait qu’un destin est le résultat de mille autres??

Armel Job a placé au début de son roman une citation de Saint Luc?:«?L’un, s’il cherche à sauver sa vie, la perdra?; l’autre, s’il la perd, lui donnera d’exister.?» Paradoxe en apparence, que Jordan, suspecté par la police, a lui-même cité lors d’un interrogatoire. Ce n’est qu’à la fin du roman que la phrase de Saint Luc prend tout son sens, quand on comprend enfin ce qui est arrivé à Eva.

On reconnaît un bon romancier à ce talent de poser, l’air de rien, de grandes questions auxquelles il ne répond pas, afin de nous faire réfléchir. Sous son air anecdotique de récit policier, La Disparue laisse longtemps le lecteur songeur.

 
 
 
 
La Disparue de l’île Monsin d’Armel Job, Robert Laffont, 2020, 306 p.


 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166