FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman
La conquête de soi


Par Josyane Savigneau
2019 - 10

Depuis son premier roman Les Rochers de poudre d’or (Gallimard, 2003), on sait que Natacha Appanah a une grâce d’écriture. Son septième, Le Ciel par-dessus le toit, en donne l’exemple le plus parfait. Le titre, allusion au vers de Verlaine « Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme » annonce en quelque sorte le style de ce beau texte, tout en délicatesse et évocation. On est dans un lieu indéterminé, mais sans doute pas à l’île Maurice, où elle est née en 1973, ni à Mayotte, lieu de son précédent roman, Tropique de la violence (Gallimard, 2016), prix Femina des lycéens. Mais Loup, personnage central du Ciel par-dessus le toit, a, comme Moïse de Tropique de la violence, maille à partir avec la justice.

Que s’est-il passé ? Qu’a fait ce jeune homme « bizarre, étrange, bête mais pas malade » pour se retrouver en prison ? Si on était dans une narration qui explique au lieu de suggérer, on dirait : alors qu’il n’a pas le permis de conduire, il a pris une voiture pour rejoindre sa sœur qu’il n’a pas vue depuis des années. En chemin, il a roulé à contresens sur une autoroute, a eu un accident, et est incarcéré à la maison d’arrêt de la ville la plus proche de celle où habite sa sœur, ce qui, d’une certaine manière, le réconforte. Tout cela est juste, mais ne dit, au fond, rien de ce livre qui procède par brefs chapitres, par portraits, tout cela finissant par tracer le destin d’une étrange famille : la mère, Phénix, la fille, Paloma, et son frère cadet, Loup.

Pour bien comprendre, il faut s’intéresser à Phénix, car « avant Phénix, Paloma et Loup, il y avait Eliette, et c’est avec elle que tout a commencé ». Eliette est une enfant que sa mère habille de robes trop ajustées, qui rendent sa respiration difficile, puis maquille et lui demande de chanter. Elle doit être ce petit prodige, objet de tous les regards, qui est si jolie, et « encore plus jolie » quand elle chante. Eliette obéit, mais elle déteste tout ça, elle a le sentiment que les regards sur elle la « salissent ». Un soir, alors qu’elle est en scène pour un concert auquel assiste la presse locale, au lieu de chanter On dirait le Sud, comme prévu, « elle crie comme elle n’a jamais crié ». Et « c’est ainsi que prend fin l’enfance de celle qui s’appelait Eliette ».

Un peu plus tard, après une péripétie, dont on ne dira rien ici, l’atelier de couture familial est détruit par un incendie. Eliette est à l’hôpital et quand ses parents arrivent on leur dit : « Eliette ? Elle nous a dit qu’elle s’appelait Phénix et je vous rassure, elle n’a absolument rien. C’est un vrai miracle. » Phénix plutôt qu’Eliette : un geste de liberté pour en finir avec cette enfance de petite fille modèle, mais peut-être pas un bon début pour construire une famille et élever des enfants.

Phénix part très loin de la ville de ses parents – même si on retrouve son père au détour du récit – et met au monde Paloma. Onze ans plus tard, naît un petit garçon. « Lou » ?, lui demande le docteur Michel – autre personnage très important du récit – « Non. Loup, comme le grand méchant Loup », répond Phénix. Et elle insiste : « comme l’animal ». On a connu meilleur début dans l’existence.

On apprend, mais par allusions, par le biais d’un dialogue dans ce récit par lequel il faut se laisser porter, avec des bribes comme les pièces d’un puzzle, que Paloma voudrait savoir qui est son père, et que ses relations avec sa mère se dégradent jusqu’au jour où elle prononce ces mots : « Je te déteste, je ne reviendrai plus dans cette baraque pourrie, ce taudis. » Puis elle part en promettant à son frère de revenir le chercher. Et ne revient pas.

C’est tout cela qui a mené Loup sur la route, sans permis de conduire, puis à la maison d’arrêt, au quartier des mineurs, où il devient un numéro, « écrou 16587 ». Loup « trouve parfois consolation dans les rouages de cette machine où le temps est maître. Les levers, les repas sont à heure fixe ». Un détail qui laisse à penser combien sa vie d’avant était chaotique. Qui est coupable ? Phénix ? Paloma qui l’a abandonné ? Les parents de celle qu’on appelait Eliette ? C’est aux lecteurs de juger, mais il y a peut-être un avenir, et cela, c’est ce roman qui le dit. 


 
 
 BIBLIOGRAPHIE 
Le Ciel par-dessus le toit de Natacha Appanah, Gallimard, 2019, 126 p.


 
 
 
© Joel Saget / AFP
 
2020-04 / NUMÉRO 166