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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Jabbour Douaihy
2019 - 09


Sandrine Yazbeck en est à son premier roman, Les Imparfaits, paru récemment chez Albin Michel. Cette franco-libanaise, ancienne avocate internationale installée avec sa famille à Boston, ne promène pas son pays natal dans sa langue d’adoption comme ont l’habitude de le faire les auteurs francophones du pays du Cèdre. Et puis c’est durant son séjour à Londres qu’elle a choisi ses personnages, en regardant de la rue un monsieur d’âge mûr qui, de sa fenêtre, regardait nulle part. Ces personnages sont en petit nombre et forment l’éternel triangle amoureux, Gamal, Howard et Clara. 

Yazbeck a mijoté son texte pendant une dizaine d’années avec toutes les interruptions possibles pour enfin signer son livre à quarante ans. Cette maturité était peut-être nécessaire pour l’aider à explorer la complexité des rapports d’attachement, de jalousie feutrée et la mémoire meurtrie, derrière les apparences et les codes contraignants entre un Anglais conservateur d’origine et un autre d’adoption. 

Gamal, comme son nom le laisse deviner, est égyptien?; il évoque rarement les bords du Nil et semble plus préoccupé, dans la solitude de sa retraite de journaliste, à dérouler son amitié avec Howard, fils de conservateurs aristocrates et journaliste lui-même. L’Anglais hante plutôt les bureaux de la presse londonienne alors que son acolyte préfère le terrain surtout lorsque le Moyen-Orient est enflammé par les guerres, ce qui lui arrive souvent. Nous sommes face à deux messieurs à l’abord imposant mais qui, au fil des pages, se fissurent, dévoilent leurs faiblesses et leurs regrets. Ces «?imparfaits?» prennent la parole en alternance et leurs voix qui se côtoient sans s’entrechoquer forment la matière du roman, avec quelques pages extraites du journal de Clara, retrouvé après sa mort et qui éclaire encore mieux la fragilité des rapports humains.

À Londres, en 2013, les choses semblaient pourtant parties pour une retraite en forme. Clara, la femme de Gamal, a disparu depuis cinq ans, Gamal renonce à la chercher par amour-propre probablement et poursuit sa routine amicale avec Howard. L’élément «?perturbateur?» ne tarde pas à surgir et à réveiller le passé proche et lointain : Gamal découvre par hasard, dans les papiers de Howard, que celui-ci a fait le voyage de Londres à Positano en Italie. Positano est le village natal de Clara. Coup de tonnerre dans le ciel serein de l’amitié. Gamal, qui semblait avoir rangé le souvenir de sa femme dans le fond du placard, commence à ressasser des idées noires de trahison?; Howard se rend compte des dégâts : «?Comment avions-nous pu en arriver là, Gamal et moi?? (...) Que restait-il de notre amitié???» 

Leurs divergences rejaillissent sur leurs métiers, Gamal accuse Howard d’avoir suivi dans le journalisme la carrière bien rangée que son père lui avait tracée tandis que Howard lui reproche de prendre des risques à vouloir sauver le monde et… mentir à ses lecteurs ou leur donner de fausses espérances. 

Les choses s’avèrent pourtant bien plus compliquées : Clara, malade en phase avancée, est partie pour mourir dans son village d’enfance et Howard en veut à Gamal de s’être désintéressé de son sort. C’est que Howard aime Clara qui a dû épouser le «?mauvais?» larron et elle le note : «?Ma vie m’apparut tout à coup terriblement dissonante depuis des années, terriblement à côté de ce qu’elle a dû être.?»

Yazbeck déconstruit avec beaucoup de finesse ces méandres amoureux et rappelle au passage une aventure bien plus tumultueuse avec une journaliste iranienne sur fond de combats et d’explosions meurtrières. Elle défend si bien ses personnages dans leurs destins respectifs et bien sûr antagonistes, confirmant l’expression célèbre?: «?L’amour est une chasse de haut vol.?» 

 
 
 BIBLIOGRAPHIE 
Les Imparfaits de Sandrine Yazbeck, Albin Michel, 2019, 154 p.

 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166