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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Carole André-Dessornes
2019 - 09

«Les chrétiens baptisent leurs enfants à l’eau bénite?; Rim a été baptisée aux larmes de sa mère, qui a éclaté en sanglots en apprenant la nouvelle?: elle venait de mettre au monde une fille.?» D’emblée le décor est planté… Avec Quelques pas dans la nuit, Ramy Zein renoue, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs, avec la tonalité de sa trilogie de la guerre – Partage de l’infini, Les Ruines du ciel, La Levée des couleurs, entremêlant douceur et tragédie, mettant à jour ces tensions constantes entre l’individu et le groupe.

Nous suivons le destin de Rim, nous éprouvons de l’empathie pour elle et tremblons avec elle, nous sommes partagés entre la révolte et l’impuissance devant cette survivante meurtrie par l’amour et une histoire familiale des plus funestes… Cette écriture pleine de poésie et ce récit mettant en lumière une réalité aussi impitoyable que brutale et cruelle, expriment une volonté de nous faire saisir les contradictions et complexités du réel. Ce roman est un cri contre l’injustice faite aux femmes, la violence familiale, mais au-delà… celle de toute une société structurant les attitudes, les comportements et les représentations des acteurs sociaux. Dans ce roman, la société est constamment écartelée, travaillée et inhibée par les liens primordiaux?: la famille, la communauté locale, le regard des autres quasi-permanent.

Rim, malmenée par la vie, est confrontée à sa condition sociale qui n’a de cesse de se rappeler à elle et de la manière la plus abjecte qui soit. Elle aime ses enfants avec toute la maladresse d’une mère qui n’a jamais appris ce qu’était l’amour mais refuse de reproduire ce qu’elle a vécu, «?elle aime dans l’urgence?». Mais voilà qu’on lui arrache ce qu’elle a de plus cher. N’étant plus que le fantôme d’elle-même, Rim se retire peu à peu du monde lorsque, soudainement, elle sent la fièvre de la révolte monter en elle. Celle qui n’a jamais osé contester l’ordre établi est bien déterminée, pour ses enfants, à reprendre sa vie en main.

Le passé de sa belle-mère, Soraya, fait écho à sa propre condition sociale. Mais contrairement à Rim, cette maîtresse-femme était nourrie d’une telle rage de sortir de sa «?misère?» qu’elle en était arrivée à avoir pour les siens un sentiment de mépris et de rejet. 
L’auteur nous donne à voir les destins entrecroisés de deux femmes, si opposées et en même temps si proches, les deux faces d’une même réalité intangible?: une femme qui s’est battue pour sortir de sa condition et une autre qui, en permanence écrasée et humiliée, renvoie à sa belle-mère une image lui rappelant un passé insupportable. Deux femmes meurtries, chacune à sa manière, deux drames qui, comme tant d’autres, finiront dans l’oubli?!

Ce roman dévoile une société segmentée, déchirée entre ceux cherchant à la fuir ou vivant dans l’illusion de la fuite et les autres, condamnés à subir ou à reproduire cette violence familiale soumise au caractère sacré et intouchable du clan. Ramy Zein décortique un monde où la condition sociale est une réalité implacable, une société hermétique n’acceptant pas la différence sociale et encore moins ce qui rappelle cette différence. Il dépeint un univers impitoyable avec les femmes, pointe du doigt des tragédies comme malheureusement il y en a tant d’autres sur terre?; à travers ces pages, il livre une guerre à tout un système muselant ces femmes dans un contexte privé, un ensemble non seulement bien ancré chez les hommes mais très présent aussi chez les autres femmes. 

Inspiré d’une histoire vraie, ce roman revêt un caractère universel et malheureusement intemporel, certes avec ses nuances, mais, au final, il s’adresse à tous et à toutes. 

En levant un tabou, Ramy Zein fait tomber les masques… Magnifique hommage rendu aux femmes tout en dénonçant la cruauté du monde.

 
 
 BIBLIOGRAPHIE 
Quelques pas dans la nuit de Ramy Zein, L’Harmattan, 2019, 158 p.


 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166