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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Une faille, comme une ligne de la main


Par Fifi Abou Dib
2019 - 08


Un nain de jardin, c’est déjà le symbole absolu de ce « kitsch pavillonnaire » européen auquel cèdent, désormais dans le monde entier, tant de propriétaires de résidences secondaires. Xavier Barthoux, marié à Angèle – dite Angie – flanquée de sa petite chienne Bella, père d’un adolescent en crise qui lui parle à peine, est directeur commercial d’une entreprise pionnière en matière de nains de jardin, fondée en pleine crise de 1929 par un certain Frachon qui avait donné au genre ses lettres de noblesse. Ces dernières années, l’entreprise agonise, comme toute manufacture traditionnelle « dumpée » par la Chine. Rachetée par la holding américaine Ceramix, Frachon n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle reçoit ses statuettes déjà moulées de Quanzhou, avec de fréquents défauts de fabrication, à charge pour elle d’en assurer la peinture et d’y apposer sa marque. Xavier, qui vit à Clermont et passe ses fins de semaine dans son pavillon d’Arzon, fait à longueur d’année le tour des commerces spécialisés pour placer ses statuettes. Les temps sont durs, les clients chipoteurs et tyranniques, la voiture de fonction est à bout de souffle et le directeur commercial sent venir la fin d’une carrière dont il commence seulement à réaliser la vacuité. Pourtant, ce roman où se mêlent le fantastique et le picaresque, le conte existentiel, voire historique, avec une touche de Noir vite estompée, s’ouvre sur une scène paisible où le couple débarque dans sa maison de campagne et commence tout juste à savourer un week-end de détente quand, tout à coup…

Tout à coup, Xavier aperçoit une fissure qui menace un côté de la façade recouvert de vigne vierge. La fissure devient son obsession. Dans le jardin du pavillon trône un nain de terre cuite qu’il a reçu en guise de cadeau de bienvenue à son entrée chez Frachon. Ce « Numéro 8 » est un modèle d’exception. De la taille d’un bébé, le nain non peint, érodé du bonnet, tire la langue. À partir du moment où la fissure commence à tourmenter Xavier, la statuette donne la réplique à ses monologues intérieurs au point d’installer entre eux une relation quasi-fusionnelle. Hélas, Jean-Paul Didierlaurent dont on a adoré Le Liseur du 6h27, premier roman et conte poétique exquis sur la lecture, l’écriture et le destin des livres, se laisse aller dans ces échanges à des lieux communs assénés dans un langage lourd et peu convaincant. Cependant, ses talents de conteur qui lui ont tout de même valu de remporter de nombreux concours de nouvelles et deux fois le Prix Hemingway, poussent à tourner les pages. La suite, une fois franchi le terrain vaseux dans lequel s’est fourvoyé l’auteur, mérite d’être lue. Ayant suivi la fissure jusqu’au sous-sol où elle continue de filer, Xavier a l’idée de tout abandonner, ramasser ses cailloux et partir aux antipodes, en cet exact envers du globe qui correspond à sa maison d’Arzon : les îles Chatham en pays moriori-maori, au large de la Nouvelle-Zélande. Ce changement de décor relance l’intérêt du récit. Xavier, solitaire n’ayant plus pour compagnons que son nain et une fouine qui squatte son grenier, clochardisé, mangé de barbe, emporte sa statuette dans un kangourou et part à l’aventure. Nouveau monde, nouvelle page, et petit à petit, dans ce climat subantarctique venteux, pluvieux avec de rares éclaircies, dans cette autre monotonie qui semble le lot le mieux partagé de l’humanité, sa vie reprend sens et la fissure trouve sa source et son remède. Une lecture somme toute plaisante, malheureusement plombée par quelques navrantes et inexplicables platitudes.

 
 
 BIBLIOGRAPHIE
La Fissure de Jean-Paul Didierlaurent, Au Diable Vauvert, 2018, 336 p./ Gallimard, « Folio », 2019, 287 p.

 
 
 
© Claude Truong-Ngoc
 
2020-04 / NUMÉRO 166