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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
L'Allemagne au cœur


Par Edgar Davidian
2019 - 04
Olga de Bernhard Schlink, traduit de l'allemand par Bernard Lortholary, Gallimard, 2019, 265 p.


Bernard Schlink est l’un des auteurs allemands contemporains les plus lus et les plus célébrés. Le précède un ensemble d’écrits considérable qui réunit plus de douze œuvres de fiction à succès, d’une facture littéraire alliant adroitement la formulation d’une littérature à la fois classique et moderne, ainsi que plus de cinq essais socio-juridiques à caractère de commentaires et analyses civiques. 

Juriste et écrivain, il n’a jamais laissé tomber sa robe de juge et d’avocat et encore moins sa plume de romancier à la narration claire. Bernhard Schlink, auteur du livre Le Liseur, que le cinéma a porté aux nues grâce à la caméra de Stephen Daldry et la sublime interprétation de Kate Winslet en analphabète qui se régale et se nourrit de la lecture des livres d’un amant beaucoup plus jeune qu’elle, vient de signer un nouvel opus, dans la même veine d’un attachant portrait de femme.

Aujourd’hui à 74 ans, entre séjours à Berlin et New-York, il publie Olga qui renoue avec ces arcanes d’inspiration où les atmosphères de la première et seconde guerre mondiale, surtout celle de l’Allemagne nazie, sont la toile de fond pour un couple tourmenté que tout sépare sauf les intermittences du cœur. Et que la vie dans son tourbillon houleux ne réussira jamais à unir ou réunir totalement. Une impossible quête du bonheur, pourtant à portée de main… 

Olga, emblématique figure féminine, battante et appartenant à la classe des pauvres et des démunis, mais fière, rebelle, de la trempe des grandes amoureuses, est l’épicentre rayonnante de ce roman.

Pour lui donner la réplique dans ce duo d’amour wagnérien aux nombreux rebondissements, son amant et ami d’enfance Herbert, porté aux voyages et aux conquêtes terrestres les plus glaçantes, représente avec éclat la virilité de fer allemande et l’orgueil teutonique, que rien ne plie ou soumet sauf la morgue de l’idéalisme d’une Allemagne super-conquérante. Jeune héritier d’une fortune de sucrier de betteraves, rêveur coriace et impénitent, Herbert se déplace avec exaltation et fébrilité, de l’Afrique à l’Antarctique, pour la grandeur de l’Allemagne. Et elle, Olga, à son antipode (refuse qu’on la germanise et qu’on l’appelle Helga), brave prolétaire industrieuse et active dans un village de bout du monde, n’en continue pas moins de seconder, en toute générosité de cœur, l’homme de sa vie.

Devant cet amoureux absent, toujours en voyage, elle croise la solitude, la guerre, les colères, la misère des peuples, la furie des gouvernants, l’incurie des hommes de pouvoir, l’incompréhension et l’anarchie de la société. À toutes ses lettres d’amour, qui l’épuisent autant qu’elles lui donnent la force de vivre, elle n’aura jamais de réponse.

Déterminée, lucide, intelligente, Olga affronte tous les visages colonialistes et dominateurs d’une Allemagne engoncée dans ses démons de suprématie. Cette femme exceptionnelle dans son courage et son lumineux discernement, a défié tous les diktats de sa patrie dont son amant a été victime. Et qui ont rejailli sur elle. Elle prend ses distances avec sa terre d’origine et sans jamais se soumettre, garde la chaleur de ses lettres et de son amour.

Un livre poignant qui fait indirectement le procès à l’Allemagne, ses dérives, sa grandeur, sa décadence et donne, dans cet enfer moderne, une superbe image d’une femme qui se sacrifie par amour. Si l’histoire de l’Allemagne vit à travers le regard et le portrait si puissant d’Olga, la jeunesse allemande est incarnée, elle, d’une manière encore plus pathétique, par Herbert, possédé par des utopies nationalistes.

Écrit en toute sobriété, usant de mots simples et précis, gardant la trame en un souffle retenu à travers un regard d’une intense acuité, Olga reste un bouleversant moment de lecture.

 
 
À toutes ses lettres d’amour, qui l’épuisent autant qu’elles lui donnent la force de vivre, elle n’aura jamais de réponse.
 
2020-04 / NUMÉRO 166