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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La difficile quête d’une vie paisible


Par Charif Majdalani
2019 - 02


Asma el-Atawna est une romancière palestinienne qui vient de publier son premier roman, Soura mafqouda (Une photo manquante). Originaire d’une famille bédouine du Néguev, el-Atawna naît et grandit dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza. À dix-huit ans, elle décide de fuir une vie de misère dans la vaste prison que représente Gaza, mais également une société et un cadre familiale oppressifs, et se réfugie en France après un itinéraire rocambolesque qui la mène finalement jusqu’à Toulouse où elle vit actuellement.

C’est cet itinéraire, mais surtout sa vie avant sa fuite que raconte la romancière dans Soura mafqouda. Si le roman s’ouvre sur le récit, rapide et incisif, de l’arrivée de la narratrice en Europe et sa quête d’une vie supportable dans un monde paisible, il est en fait essentiellement consacré à l’histoire d’une enfance dans un camp de réfugiés à Gaza. La petite fille vit au milieu de ses trois sœurs, dans une maison faite de bric et de broc au cœur d’un quartier surpeuplé, avec un père brutal et indifférent et une mère certes soucieuse jusqu’à l’obsession de la propreté et de la réputation de ses quatre filles, mais souvent violente et punitive. L’environnement est étouffant où se mêlent la pression sociale et la dureté de l’occupation. Rebelle et espiègle, la petite fille grandit en désobéissant à ses parents, court et joue en cachette avec les garçons de son âge. Brimée à l’école, elle est quand même une sorte de petit chef et se venge de ses maîtresses peu aimantes par des farces dont elle ne mesure pas les conséquences et fait des coups à sa grand-mère qu’elle déteste. Autant dire qu’elle vit sa simple vie d’enfant, avec ses joies légères, ses frayeurs et ses craintes des punitions, ses plaisirs volés et ses rebuffades.

Et c’est sans doute cela qui est troublant, beau et paradoxal dans Soura Mafqouda. Chronique impitoyable d’une vie quotidienne excessivement pénible, le récit est à certains moments habité par une sorte de nostalgie pour le temps de l’enfance. Mais à de magnifiques scènes intimistes (la mère coiffant ses filles, le bain à côté de l’eau qui chauffe dans de grandes bassines, le bruit rassurant de la machine à coudre maternelle au moment de s’endormir) se mêle l’évidente conscience que cette enfance a surtout été désastreuse et source de terribles souffrances : souffrances générées par la peur du regard des autres et des ragots qui peuvent ruiner un avenir, souffrance de voir les parents se disputer avec une violence inouïe, souffrance devant la brutalité du père, l’avarice des grands-parents ou l’inconstance des garçons dont on est amoureux. Et souffrance surtout devant l’incompréhensible qui surgit en permanence au milieu des choses familières : mariage à 14 ans d’une des sœurs ou transformation en intégriste d’un ami d’enfance un peu plus âgé.

Et puis bien sûr, il y a la souffrance causée par les permanentes humiliations que font subir les soldats de l’occupation et qui deviennent presque comme une fatalité qu’il faut subir avec patience et ruse. Néanmoins, ce qui est remarquable dans le roman, c’est qu’avec son écriture précise et sans pathos, avec son traitement subtil du temps qui passe et de la routine répétitive des jours, Asma el-Atawna montre que les problèmes à l’intérieur de Gaza et dans les camps de réfugiés ne sont pas seulement dus à l’occupation israélienne et à tout ce qu’elle produit comme misère, chômage et violences. Elle montre en fait que ces problèmes ont aussi des causes propres à la société palestinienne dont le conservatisme, l’inégalité de classe, le racisme et la condition peu enviable qu’elle réserve aux femmes sont sources de bien des misères qui s’ajoutent à celles de l’occupation. C’est ce qui explique qu’une fois réfugiée en Europe, la narratrice n’aura de cesse de s’insurger contre la tendance des gens autour d’elle à toujours renvoyer ses misères passées à des causes politiques ou à sa seule nationalité palestinienne. Ce qui explique aussi qu’elle ne cessera de se revendiquer une personnalité singulière et inaliénable dont les souffrances ne sont pas uniquement assimilables à l’injustice suprême qui est la spoliation de la terre, et peuvent donner le droit de rêver enfin, et sans avoir à le justifier, à une vie paisible.

 
 BIBLIOGRAPHIE 

Soura mafqouda (Une photo manquante) d’Asma el-Atawna, Dar el-Saqi, 2019, 159 p.
 
 
 
D.R.
El-Atawna montre que les problèmes propres à la société palestinienne sont sources de bien des misères qui s’ajoutent à celles de l’occupation.
 
2020-04 / NUMÉRO 166