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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Grains de Malaisie
Prix du premier roman étranger 2018, La Somme de nos folies de Shih-Li Kow, récit à deux voix, est un foisonnement de chroniques et de portraits truculents. Une découverte multisensorielle d’une Malaisie contemporaine des contrastes.

Par Ritta Baddoura
2019 - 01


Difficile de présenter en quelques mots la singularité d’un petit ovni tel que La Somme de nos folies. Savouré à petites bouchées, il est hors du commun. Lu entièrement, il peut être déroutant, car extrêmement dense et sans trame narrative ou nœud pouvant servir de charpente ou de fil directeur. Ce roman miroite de mille facettes et s’approfondit en des dimensions qui éclosent à mesure que l’on s’y aventure, forêt sauvage dissimulant des trésors inattendus. 

Ce roman qui ne cherche pas à tenir ses lecteurs en haleine, se révèle nimbé de sagesse et de leçons de vie et de folie. Origami 3-D faits de nombreuses petites pièces pliées et assemblées avec patience, son humour ose et flirte avec le grotesque ou le noir. Il peut être décousu, vertigineux, bavard, haut en couleurs, et tout aussi impassible, comme les habitants du village de Lubok Sayong où se déroulent les faits relatés par l’autrice Shi-Li Kow dont c’est là le premier roman.

La Somme de nos folies, riche de personnages extravagants, authentiques et attachants, reste avant tout l’histoire de la mémoire et du devenir de Lubok Sayong. Quelque part au nord de Kuala Lumpur, ce village coincé entre deux rivières et trois lacs, est sujet à des inondations régulières. La dernière, introduisant le roman, aura des effets spectaculaires et augurera une série de changements dans la vie des habitants. Destruction, reconstruction, flux, création?: un cycle vif anime ce roman jalonné de deuils et de renaissances, dans la coexistence des contrastes. Jeunesse et vieillesse, réalité et surnaturel, nature et technologie, straight et queer, tradition et mondialisation, autochtone et étranger, tragique et cocasse, douceur et violence?: les apparentes oppositions y cohabitent dans l’harmonie et la continuité.

La folie dans ce roman est multiculturelle. Se la partage une communauté de malais (dont quelques catholiques), de tamouls et de chinois. La Somme de nos folies raconte, par les voix alternées de Mary Anne et d’Auyong, les folies quotidiennes de Beevi, fantasque et revêche vieille dame, conteuse hors pair à la langue pendue?; d’Auyong, placide directeur retraité d’un supermarché de Kuala Lumpur, reconverti en propriétaire d’une usine de litchi et pêcheur à ses heures?; de Mary Anne, candide et créative, fraîchement sortie à l’âge de onze ans d’un orphelinat et se retrouvant par un cocktail insolite de circonstances adoptée par Beevi?; de Mary Beth sa meilleure amie courageuse et déterminée?; d’Ismet le potier beau comme soleil?; de Miss Boonsidik lady boy au cœur d’or, et de tant d’autres qui se quêtent librement et restent dans leurs maladresses, fidèles à leur être profond.

Les thématiques dans ce roman sont plurielles et engagées. Il y est question de mémoire familiale et collective, de secret de famille, de passage à l’âge adulte ou mature, d’amitié indéfectible, de corruption politique, de violence, de reconversions, de B&B, de Gay Pride, de poissons dévoreurs d’humain, de fantômes, de démarches écoenvironnementales. Tout cela fait pas mal de juxtapositions détonantes à l’image de ce roman inclassable.

La force secrète de La Somme de nos folies est de dépeindre des existences restées en connivence et dépendance étroites avec la nature. Les valeurs qui s’y enracinent sont portées par l’art de l’étonnement que maîtrise Shi-Li Kow. Sous ses airs de folies pittoresques, ce texte est une célébration pudique de la diversité, de la transmission générationnelle et de la vie qui passe.


BIBLIOGRAPHIE 
La Somme de nos folies de Shih-Li Kow, traduit de l’anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier, Zulma, 2018, 384 p.
 
 
 
D.R.
La force secrète de La Somme de nos folies est de dépeindre des existences restées en connivence et dépendance étroites avec la nature.
 
2020-04 / NUMÉRO 166