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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
À tombeau ouvert


Par William Irigoyen
2018 - 11
Trois enfants partent enterrer leur père dans un village syrien situé en zone rebelle. Le chemin est semé d'embûches. Les barrages sont nombreux et retarde le convoi. La dépouille tombe en putréfaction. Et le trio menace à tout moment de se disloquer.

Sentant sa mort prochaine, Abdellatif al-Sâlim convoque l'un de ses fils et lui expose sa dernière volonté : être enterré dans le cimetière de ʻAnâbiyya, le village familial, auprès de sa sœur. « Boulboul » en fait la promesse à son géniteur, sans toutefois prendre conscience de la difficulté qui l'attend, à cause de la guerre civile : « Partout dans le pays, les morts étaient enterrés dans des fosses communes, sans même avoir été identifiés. Même chez les familles fortunées, le rituel des condoléances était réduit à quelques heures seulement. » Il demande alors à sa sœur Fatima et son frère Hussein, brouillé avec leur père, de lui venir en aide. 

Dès la sortie de Damas, les difficultés commencent. Les enfants d'Abdellatif doivent verser des pots-de-vin à l'armée régulière postée aux premiers barrages et sont sommés de trouver les autorisations administratives pour pouvoir continuer leur périple. Car les officiers ont décidé de mettre la dépouille aux arrêts. Le défunt, arguent-ils, est recherché depuis deux ans par les services de renseignements : « Boulboul faillit lui répondre que les dépouilles ne possèdent qu'un seul nom, qu'elles se débarrassent de leur histoire et de leur passé pour ne plus appartenir qu'à une seule famille, la famille des morts, et qu'un mort n'a pour carte d'identité que son certificat de décès. »

Au fil des pages apparaissent les contours d'une Syrie en proie à tout type de violence, que celle-ci soit ou non liée à la guerre. Ainsi quand Nevin, seconde épouse d'Abdellatif, récupère le corps déchiqueté de son fils et demande à trois médecins de le reconstituer : « Ils tentèrent de la convaincre qu'il était quasiment impossible de la faire, qu'un cadavre n'avait que faire d'être reconstitué, que beaucoup de familles avaient enterré les restes de leurs enfants sans pouvoir récupérer toutes les parties de leurs corps. » Ou lorsque Leila, la tante paternelle, s'asperge de pétrole et s'immole parce qu'elle refuse d'épouser le mari qu'on a choisi pour elle. 

Le roman achevé, une question demeure : les vivants seraient-ils tous condamnés à devenir ces chiens affamés dont Khaled Khalifa fait une description glaçante, toujours prêts à bondir sur la dépouille d'Abdellatif ? Ou ces gros rats qui, à l'image de « Boulboul » redevenu Nabil au terme d'un road-trip lugubre, retourne un jour dans son trou froid et redevient cet « être inutile » dont on peut « tout simplement se passer ». 

BIBLIOGRAPHIE
La Mort est une corvée de Khaled Khalifa, traduit de l'arabe (Syrie) par Samia Naïm, Actes Sud/L’Orient des Livres, 2018, 222 p.

Khaled Khalifa au Salon :
Rencontre « L’Intime et le politique », le 5 novembre à 17h30 (salle Nadine Labaki)/ Signature à 18h30 (L’Orient des Livres).
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166