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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
De la vie de bureau, entre ennui et ennuis


Par Fifi Abou Dib
2018 - 08


Le personnage central de Microfilm a une vocation d’acteur, mais il galère dans des rôles de figurant, jusqu’à se retrouver sans projet ni perspective, ayant de plus été jugé, lors de sa dernière audition, doté d’un « physique quelconque, visage commun ». Il endosse un imperméable pour se donner du relief, peut-être même un faux air d’Alain Delon dans Le Samouraï, consulte Pôle Emploi, dont la base de données informatique le dirige, partant du mot « Microfilm » mentionné sur son CV (le nom d’une revue à laquelle il a collaboré quand il était étudiant), vers une certaine Fondation pour la Paix continentale dont les bureaux se situent 1bis, place Vendôme.
D’emblée, le style aidant, on se sent dans un de ces polars goguenards des années 1950 mais avec un fonds d’angoisse et de vide, de malveillance diffuse, présente ou passée, qui nous mettrait plutôt dans les pas d’un personnage de Modiano. Au fil du récit, l’atmosphère s’épaissit et, par moments, on se croirait dans Le Château de Kafka, si ce n’est, à cause d’un nébuleux fonds d’intrigue, dans Les Employés de Balzac.

La bureaucratie et son univers souvent absurde sont au cœur de ce roman admirablement mené, avec un style d’une belle élégance, un humour subtil et une érudition pertinente et comme spontanée. D’emblée, le lecteur adopte le héros et adhère à son histoire. Projeté avec le jeune homme dans l’univers aseptisé d’un bureau qui vient de s’installer Place Vendôme, la plus froide et vide de Paris, on jouit avec lui de la sécurité d’une fonction dénuée d’intérêt et, semble-t-il d’utilité. Les collègues sont aimables. La n°2, Lydie Souci, travaille beaucoup, on ne sait à quoi. Nadège, la secrétaire, est le prototype de la vieille fille bourrée de tocs, bienveillante mais aveuglément soumise à sa « hiérarchie ». Jean-Serge de Plas est un patron étrange et étrangement désœuvré, lui-même soumis, semble-t-il, à l’autorité d’un certain Jansen qu’on ne croisera jamais. Le personnage central est chargé, puisqu’il faut bien justifier le titre du roman, d’analyser et d’archiver des microfilms. Ce mot à lui seul renvoie à tout un contexte de guerre et d’espionnage à l’ancienne, de missives secrètes d’États-majors, de pigeons voyageurs et autres mystères épais. Mais la liseuse de microfilms enfin livrée, un modèle naturellement obsolète, ne résiste pas à la différence de voltage. Il faudra faire quelque chose, en attendant, comme résumer les textes de présentation abscons de la Fondation pour la Paix continentale pour les télécharger sur le site. Ou alors commander des articles de papeterie, prétextes à une savoureuse exploration comparative entre différents types de stylos à encre bleue. Le bleu est, si l’on ose dire, le fil rouge de l’histoire, avec ses différentes nuances, piscine, Capri ou ciel, qu’importe, le but étant peut-être simplement de mettre un peu d’espoir et de couleur dans la grisaille bureaucratique. La jalousie entre collègues est effleurée à la suite d’un déplacement de notre protagoniste à Lisbonne, aussi inutile que pénible, mais qui pourrait suggérer un certain favoritisme. Mais rien n’est dit. Une hostilité diffuse, une certaine tension, des départs inopinés, des accidents commencent à rendre l’atmosphère irrespirable. 

Comment achever une œuvre sur le rien contemporain, la surqualification de certains employés voués à des tâches dérisoires, les faux emplois d’ailleurs et les soupçons qui règnent autour de certaines associations et ONG sans doute créées dans le but de servir d’écrans à des activités inavouables ? On sort à contrecœur de ce brillant récit dont la fin est, en toute logique, en queue de poisson.

 
BIBLIOGRAPHIE   
Microfilm d’Emmanuel Villin, Asphalte, 2018, 204 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166