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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Josyane SAVIGNEAU
2007 - 03
En ces temps troublés au Liban, extrêmement ennuyeux en France où le débat politique est intellectuellement au plus bas, il n’est pas désagréable de chercher du côté des livres un peu d’humour, de tendresse, de nostalgie. En ces premiers mois de 2007, le choix est, par chance, aussi large que varié, tant dans ce qui s’écrit en français que parmi les traductions. Aussi vaut-il mieux résister à la tentation de la liste, du catalogue et proposer une petite balade, avec, pourquoi pas, des femmes – celles qu’on connaît et celles qu’on découvre.

Anne Wiazemsky a déjà beaucoup écrit. Ses romans ont toujours été plaisants, mais pas nécessairement enthousiasmants. Or voici qu’avec Jeune fille (Gallimard), elle franchit une étape. Dans le style comme dans sa manière de mener la narration. On est en 1965 et ce récit est autobiographique, mais ce n’est pas un livre de mémoires. Elle y raconte comment l’adolescente de 17 ans qu’elle était a été choisie par Robert Bresson, cinéaste déjà très célèbre et plus très jeune, pour tourner Au hasard Balthazar. Comme elle l’a dit dans plusieurs entretiens, si elle avait voulu faire un livre de souvenirs sur Robert Bresson, «?il y aurait eu bien d’autres choses à dire?». Là, c’est le roman de la découverte, par une jeune lycéenne, d’une autre vie, qui pourrait plus tard devenir la sienne. De sa rencontre avec un homme beaucoup plus âgé, de leur tendresse réciproque. La jeune Anne a perdu son père, c’est donc son grand-père, l’écrivain François Mauriac, qui doit lui donner l’autorisation d’accepter ce rôle. L’évocation de ce grand-père, impressionnant, attentif et indulgent, est extrêmement émouvante. Et nostalgique, comme l’est le récit du tournage, pendant lequel la narratrice découvre «?le bonheur de vivre?» ou plutôt «?de se sentir vivre?».

Cypora Petitjean-Cerf, elle, a 33 ans et avait été remarquée par quelques critiques, en 2005, pour son premier roman Le Musée de la Sirène (il paraît aujourd’hui en poche, Points). On  avait compris qu’elle s’intéressait à la recherche de l’identité, aux troubles qu’elle suscite souvent, notamment chez les jeunes gens et les créateurs. Elle avait choisi la fable, l’allégorie, peut-être pour ne pas aborder la question de front. Après ce coup d’essai réussi, elle savait qu’on l’attendait au tournant du deuxième roman. Alors elle a pris tous les risques avec Le Corps de Liane (Stock), la saga d’une tribu de femmes, que l’on suit du 4 décembre 1980 au 19 janvier 1986, puis que l’on retrouve trois ans plus tard, pour une sorte d’épilogue. Cypora Petitjean-Cerf montre ici un grand sens de la construction – pour entremêler les destins d’une dizaine de personnages autour de Liane – et un bel art du dialogue. Ces femmes et ces jeunes filles sans hommes – les maris et pères ont tous été éphémères – sont curieusement unies, parfois sans même le savoir, parce qu’elles regardent toutes, à la télévision, la série Dallas, où, au contraire, derrière chaque femme, on trouve un homme. Liane, qui a 10 ans quand commence l’histoire, se demande, peut-être parce qu’elle manque de rapport au masculin, si elle est vraiment sûre «?d’être une fille?». Il lui faudra 300 pages pour le découvrir – ou pas…

Avec les femmes – et les hommes – dont parle Nicole Avril dans son nouveau livre, on est dans un tout autre monde. Il s’agit en effet d’un Dictionnaire de la passion amoureuse (Plon), de l’exploration, au gré de mots choisis pour ce dictionnaire, d’un état limite de l’existence. C’est un livre qu’on lit de manière passionnelle, surtout si on ne partage pas totalement la vision de Nicole Avril. Car elle ne rend pas la passion désirable. Il faut longtemps chercher pour lire que celle-ci «?n’est pas toujours fatale?», que l’humour prend parfois «?la place de la tragédie, la volupté celle de la domination, la vie celle de la mort?». Dans les quelque soixante-dix entrées de ce dictionnaire très documenté – qui donne, et c’est sa grande qualité, envie de lire et relire les textes les plus passionnés de la littérature mondiale –, il est surtout question de souffrances – dont celles du jeune Werther de Goethe –, de mort, de renoncement, de destruction. Le ton est donné dès les «?Préliminaires?»?: «?Il y a passion (…)  quand l’agressivité l’emporte sur le partage, la haine sur l’amour, la volonté de dominer sur le désir (…), la griffe sur la caresse (…), le cri sur le chant, le meurtre sur la volupté.?»

Enfin, pour ceux qui aiment les livres brefs (110 pages) à la prose subtile et impeccable, il ne faut pas manquer, bien qu’il soit publié chez un très petit – et très bon – éditeur, Tristram, un récit de femme, écrit par un homme?:  Ramatuelle, de Pierre Bourgeade.  Bourgeade, qui aime jouer avec les mots, a sûrement pensé, en choisissant son titre, à «?Rama-tue-elle?». Le ton est donné. Voici un roman à lire sans reprendre souffle, en se laissant aller au rythme fou, mais savamment calculé, de sept jours dans la vie d’une femme, racontés par elle-même, d’un 24 juin à un 1er juillet. Elle s’appelle Françoise d’Elbée?: bourgeoisement mariée, deux enfants, une maison à Ramatuelle, dans laquelle, traditionnellement, chaque été, elle descend une semaine avant que sa famille ne la rejoigne. Cet été-là, sur la route, elle est témoin d’un meurtre. Elle s’évanouit. Quand elle reprend conscience, les deux meurtriers sont en conversation avec les gendarmes. Elle affirme qu’ils ont assisté, impuissants, à «?l’accident?» et les emmène avec elle… Ils resteront ensemble une semaine…






Jeune fille, d'Anne Wiazemsky, Gallimard, 224p. 

Le Corps de Liane, de Cypora Petitjean-Cerf, Stock, 337p. 

Dictionnaire de la passion amoureuse, de Nicole Avril, Plon, 363p. 

Ramatuelle, de Pierre Bourgeade, Tristram, 128p. 
 
 
 
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