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Roman
Beigbeder à confesse


Par Josyane SAVIGNEAU
2007 - 06


L’éditeur de Frédéric Beigbeder, Grasset, bouscule la tradition française de la rentrée littéraire en publiant le 12 juin Au secours pardon, qu’on attendait pour la fin du mois d’août. Les lecteurs de 99 Francs ne seront pas désorientés. On retrouve Octave Parango, l’ancien rédacteur publicitaire. Il est à Moscou, et prisonnier d’un autre stéréotype de la société contemporaine, la poursuite désespérée de la beauté et de la jeunesse. Octave est « talent scout » pour une multinationale, L’Idéal, « pour des gens qui considèrent une de femme de plus de 24 ans comme obsolète. Mon activité déteint sur moi : je n’ai pas fêté mes 40 ans. Je vieillis dans un monde où vieillir est interdit ».

Derrière L’Idéal on reconnaîtra sans peine L’Oréal, « une des plus profitables entreprises françaises (2 milliards d’euros de bénéfices pour 16 milliards de chiffre d’affaires), fondée par un chimiste génial dont les héritiers avaient fait fructifier les brevets sous l’Occupation allemande. Elle était devenue le leader mondial de l’industrie cosmétique à force de ressasser une phrase clé dans une centaine de langues : “Parce que vous êtes toutes uniques” ».

Tout le talent de Beigbeder pour se mettre en plongée dans l’actualité est à l’œuvre dans cette confession en quatre saisons – elle commence en hiver et s’achève à l’automne – à un prêtre orthodoxe. Comme dans 99 Francs, la critique sociale est aiguë, les rapports entre les hommes et les femmes sont désastreux, surtout s’ils ont l’étrange idée de se marier, pour divorcer ensuite, fatalement. S’ajoutent dans Au secours pardon le retour vers la religion, les aléas de la nouvelle société russe, et le terrorisme, menace internationale désormais obligée. Comme souvent, Beigbeder est à la fois lucide et lapidaire, pertinent et approximatif. Par exemple, constater que les femmes manquent trop d’humour est une évidence, en rendre le féminisme responsable est plutôt hâtif. De même, faire de la recherche de mannequins jeunes et blonds un retour du nazisme, par la vénération de la race aryenne, conduit à de curieuses affirmations : « Si nous courons tous après la blondeur, il faut appeler les choses par leur nom : c’est parce que nous sommes fachos (…) Je me demande si le voile islamique n’est pas moins facho que le jury d’un Fashion Contest ou le contrôleur facial d’une discothèque (…). Ah mon père, je vois que vous dodelinez de la tête. Eh bien, dodelinez, dodelinez tout votre saoul. »

On ne sait pas ce que signifie vraiment la perplexité du prêtre, mais, comme lui, on préfère laisser au seul Beigbeder la responsabilité de ce genre de comparaison. Toutefois, on peut conclure, comme lui : « Mon histoire finira mal, et je le sais. La dictature de la beauté engendre la frustration et la frustration engendre la haine. On ne peut pas participer impunément à cette idéologie. »  Vers quoi est-on entraîné dans ce monde où les jeunes femmes, comme Lena, la rencontre la plus importante et la plus belle que fait Octave, sont d’une « génération qui s’interdit tellement d’aimer qu’elle en ignore jusqu’au verbe. L’amour est tellement mort qu’on préfère dire “je suis bizarre” plutôt que de risquer un “je t’aime”, trop dangereux et galvaudé » ?

À la fin de chaque saison de cette confession, on trouve, imprimés en italiques, des témoignages et des dépositions à la police de divers protagonistes, qui mènent le lecteur sur le chemin de la « catastrophe » finale de la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Beigbeder a très bien composé son récit, on ne se perd pas en route et l’attention est soutenue jusqu’à la dernière page. Mais il n’a pas retrouvé la qualité et la tenue de la narration de Windows on the World (en poche, « Folio » Gallimard, n° 4131), qui, en 2003, avaient convaincu au-delà de son lectorat habituel.  Le style d’Au secours pardon est alerte, le rythme effréné, mais on a un peu la sensation d’être secoué dans un shaker. Tous les ingrédients sont bien présents, on les mélange avec vigueur, mais on peine à définir le goût du cocktail qui en sort. En un mot, Frédéric Beigbeder croit-il vraiment à sa recette ?

 
 
© Sonia Sieff
 
BIBLIOGRAPHIE
Au secours pardon de Frédéric Beigbeder, Grasset, 320 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166