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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Reality Polar


Par Jabbour DOUAIHY
2007 - 07


John Grisham est, avec Stephen King, l’auteur le plus lu au monde. L’Accusé a eu un énorme retentissement aux États-Unis et, dès sa sortie, a été classé n° 1 du palmarès du New York Times. C'est aussi le livre document le plus vendu en Amérique pour l’année 2006 (2,2 millions d’exemplaires), et Georges Clooney en a acheté les droits et va produire le film avec la Warner. Grisham peut donc tout se permettre, même créer une nouvelle catégorie dans le genre romanesque : relater une histoire authentique sans prendre la peine de la « romancer », attendu que la vérité sur l’erreur judiciaire monumentale qui s’y rapporte va au-delà de toute fiction possible autour de ce thème.

Oklahoma, 1982. Debbie Carter, 21 ans, est retrouvée violée et assassinée. Pour des raisons que ni le déroulement des faits dans la réalité ni le récit qu’en fait Grisham ne parviennent à élucider, les enquêteurs s’occupent de plusieurs suspects sauf de Glen Gore que tous les témoins avaient vu en compagnie de Debbie le soir de sa mort. L’appareil judiciaire préfère cibler deux suspects, Ron Williamson, ancienne vedette locale du base-ball tombé en déchéance, et son ami Dennis Fritz. La méprise judiciaire s’étale sur de longues années. Tout y contribue : le désir de la police locale de jeter un accusé en pâture à la population et aux parents de la victime, des aveux presque extorqués, des rêves utilisés en guise de preuves, des examens de laboratoire approximatifs, des avocats commis d’office on ne peut plus laxistes, des témoignages de mouchards, de récidivistes collaborateurs avec la police et même de Glen Gore, celui qui sera jugé plus tard comme le véritable criminel… Une manière de fatalité qui donne à cette histoire sa dimension éminemment dramatique et qui conduit le tribunal à condamner les deux prévenus à la peine capitale. Même si la quatrième de couverture annonce la trame jusqu’à son dénouement, démarche pour le moins inattendue dans le « paratexte » du genre policier, le lecteur qui s’engouffre dans cette histoire de fait divers dans une petite ville américaine, ne se résigne pas à l’idée qu’il n’y aura pas de rebondissements qui viendraient contredire l’attente dans cette injustice trop annoncée. Il s’agit aussi, bien entendu, d’un pamphlet virulent contre le système judiciaire américain (« Celui qui n’a pas assez d’argent pour prendre un défenseur est à la merci du système judiciaire. Quand on est pris dans cet engrenage, il est pratiquement impossible d’en sortir, même si on est innocent ») et d’une condamnation sans appel de la peine de mort. Pourtant, le succès du livre ne s’explique pas seulement par son contenu assez convenu  : la seule signature de John Grisham (auteur d’une vingtaine de best-sellers dont La Firme, L’Affaire Pélican ou Le Couloir de la mort) suffit-elle donc à lui assurer une large audience ? Qu’une sorte de documentaire se transforme en best-seller ne serait-il pas le signe qu’un vaste lectorat est friand de ce qu’on pourrait appeler le « roman-réalité » (dans le genre toujours américain de la  reality-tv) ? Sinon, comment expliquer cet engouement pour une écriture blanche, pauvre, sans aucune intrigue ou mise en scène, « une narration qui semble venir tout droit de la machine à écrire de l'enquêteur » ? La littérature policière n’a pas encore livré toutes ses recettes…

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Accusé de John Grisham, Robert Laffont, 345 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166