FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman
Les secrets de Barbe blanche


Par Natalie LEVISALLES
2007 - 10


À la mort de Barbe blanche, le joueur de târ, les oreilles de son fils Hossein sont envahies de sifflements qui le rendent fou, « nul doute que le tympan de mon frère subissait le châtiment de cet instrument ». Pour s’en débarrasser, Hossein essaie d’abord de jouer la musique de son père, en vain. Avec son jeune frère Nur, il décide de détacher et brûler les cordes de l’instrument. Un acte sacrilège, quasi parricide, mais aussi le point de départ d’une quête au cours de laquelle les deux frères perceront le secret de drames très anciens. Dans son premier roman, Yasmine Ghata emmenait ses lecteurs dans la Turquie ottomane du début du XXe siècle et le monde des calligraphes. Cette fois, son roman se situe à une époque non spécifiée, entre le lac d’Orumiyeh et le sanctuaire d’Ardabil, dans un Iran mythique, un univers de conte. Là encore, il est question d’un art traditionnel, celui des joueurs de târ, une sorte de luth dont la table a la forme de deux cœurs qui se touchent par leurs pointes. Comme la Nuit des calligraphes, ce deuxième roman parle de transmission. Il parle aussi de la nature de l’art, de l’ambition, de la jalousie amoureuse et artistique, de la violence des rapports père-fils, et de la violence encore plus grande des crimes tenus secrets. Il a quatre narrateurs différents : Nur, le fils cadet de Barbe blanche, le joueur de târ qui vient de mourir. Hossein, le fils aîné de Barbe blanche, et l’héritier désigné de son art. Forough, la veuve de Barbe blanche. Et Parvis, le fils de Mohsen, un autre joueur de târ, aveugle, mort depuis longtemps, et qui était l’ami de Barbe blanche. Dans leur voyage initiatique, les deux frères en apprendront plus sur Mohsen, qui était le seul musicien « à entendre Dieu, omniprésent dans le monde sonore... L’art de Barbe blanche manquait de sincérité et avait recours à des moyens artificiels pour atteindre l'extase ». Quand ils arrivent à Ardabil, ils sont battus et emprisonnés. « Il était écrit que les deux fils de Barbe blanche viendraient dans cette vieille cité expier le crime de leur père », leur père qui a autrefois tué Mohsen, incapable de supporter son don venu du ciel.

Avec un style qui a quelque chose de lancinant, presque incantatoire, et qui donne au récit une profondeur quasi mythologique, Yasmina Ghata fait sentir à ses lecteurs qu’ils approchent toujours plus d’une vérité qui était restée cachée. Il faudra que Hossein devienne aveugle, comme Mohsen, et qu’il commence à jouer sur le târ de Mohsen, et que, comme Mohsen, sa musique ait « le pouvoir d'atteindre les oreilles de Dieu, et d’attirer ses bienfaits », pour que l’on comprenne enfin d’autres secrets. La vraie raison du crime de Barbe blanche, et les mots de cette femme qui, plus de vingt ans après, raconte : « Je me suis donnée à Mohsen comme on s’offre à Dieu, avec la même dévotion. J’avais dix-huit ans, les habits neufs d’une jeune mariée, et quelques tapis confectionnés par mon père... On dit que les aveugles n’ont pas besoin de dire adieu, car les visages ne sont rien pour eux, Mohsen m’avait dit adieu à sa manière, en me laissant un peu de lui à l’intérieur de moi-même… »

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Le târ de mon père de Yasmine Ghata, Fayard, 2007, 138 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166