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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Josyane SAVIGNEAU
2007 - 11


C’était il y a tout juste cinquante ans. Philippe Joyaux, né le 28 novembre 1936 dans une famille de la bourgeoisie bordelaise, n’avait pas encore 21 ans. Il n’était donc pas majeur et son père ne voulait pas voir figurer son patronyme sur un livre de littérature. Il a alors choisi de s’appeler Sollers (du latin sollus et ars, «?tout entier art?») pour publier, aux éditions du Seuil, dans la collection «?Écrire?», de Jean Cayrol, un bref texte, Le Défi. Immédiatement, François Mauriac s’enthousiasme. «?J’aurais été le premier à écrire ce nom. Trente-cinq pages pour le porter, c’est peu, c’est assez.?» Un an plus tard, c’est Aragon qui célèbre son premier roman, Une curieuse solitude. «?Ce livre est celui de la grâce, voilà ce qui en fait le prix.?» Et aussi, et surtout?: «?Le destin d’écrire est devant lui, comme une admirable prairie.?» Que faire, si jeune, admiré par deux des grands écrivains de l’époque, déjà «?aimé des fées?», comme l’écrira André Breton dans une dédicace?? Comment, un demi-siècle et près de soixante livres plus tard, être encore vivant, insolent, provocant, attaqué, «?non récupérable?», aurait dit Sartre?? C’est ce que raconte ce «?vrai roman?», mémoires d’un homme qu’on a accusé de n’être pas un vrai romancier, pour éviter de vraiment le lire. «?Pari?: on me lira, on me relira?», écrit-il aujourd’hui, au risque de toujours déplaire. Tant pis, ou tant mieux. Que serait un écrivain qui ne croit pas à son œuvre??

Certes, il aurait pu consentir aux éloges, se répéter, fabriquer de bons petits romans conventionnels et finir à l’Académie française, la voie était toute tracée. Mais il a préféré se séparer des «?pères?», même s’il garde à Mauriac, dont il fait un très délicat portrait, une reconnaissance émue – il est plus sévère avec Aragon. Il a créé, au tout début des années 1960, avec quelques autres jeunes gens aventureux, une revue, Tel Quel, et un groupe du même nom, dont on parle encore, avec nostalgie ou détestation. Devenu un «?pape?» de l’avant-garde, il a su, à temps, qu’il fallait, là comme ailleurs, ne pas s’attarder. En 1983, il a quitté le Seuil pour Gallimard, et est passé de Paradis, texte non ponctué, à Femmes, qu’on a pris pour un gros best-seller narratif et à clés, sans voir qu’il était une réécriture de Paradis dans une autre scénographie, et une exploration, toujours actuelle, du malentendu entre les sexes.

C’était parti?: traître à l’avant-garde, polygraphe mondain, imposteur… la page entière ne suffirait pas... Celui qui écrit ses mémoires se souvient de quelques «?cauchemars?». Des titres d’articles bien réels. «?Pour en finir avec Philippe Sollers?», «?Rien de nouveau sous le Sollers?», etc. Mais il ne désigne jamais les auteurs. Ce «?vrai roman?» est aux antipodes du règlement de comptes. C’est le récit enchanté d’un homme avant tout fidèle à son enfance et à ses amours. Un homme sans haine et sans regret, qui écrit au présent de l’indicatif parce que sa mémoire est à jamais au présent, revisitant les villes, les îles, les amitiés, le bonheur de l’existence, en dépit des malheurs, sur lesquels on ne s’appesantit pas. Il a refusé de choisir entre vivre et écrire, pensant que cela allait de pair. Il est certain d’avoir écrit ce qu’il voulait, il l’affirme, certain aussi de ne ressembler en rien à l’image sociale dans laquelle on a voulu l’enfermer. Plutôt discipliné. Et secret. Ce que d’autres auraient étalé sur des pages, le compagnonnage avec les grands intellectuels du XXe siècle, il le dit en ellipses, avec une constante discrétion. Et prenant un nouveau pari?: il existe encore des lecteurs qui aiment l’élégance de l’esprit.




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En même temps que ses Mémoires, Philippe Sollers publie, aux toutes jeunes éditions Carnetsnord, Guerres secrètes, réflexions d’un lecteur insatiable et passionné sur la Grèce et la Chine, sur la stratégie. «?Je me demande depuis un certain temps, écrit-il à la première page, alors que j’ai lu et relu Homère, L’Iliade et l’Odyssée, pourquoi ce vieux texte monte de plus en plus vers moi d’une façon fraîche, énigmatique et violente.?» De nouvelles clés pour mieux comprendre la stratégie littéraire de Sollers lui-même. Tout comme la réédition, aux éditions de la Différence, en un format plus petit que le livre d’art d’origine, de son De Kooning, vite, et la reprise en poche de l’essai biographique de Gérard de Cortanze, Sollers, vérités et légendes («?Folio?», Gallimard, n° 4576).
 
 
© Fayard
Sollers a refusé de choisir entre vivre et écrire, pensant que cela allait de pair
 
BIBLIOGRAPHIE
Un vrai roman de Philippe Sollers, Plon, 2007, 360 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166