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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Un tango à Beyrouth


Par Natalie LEVISALLES
2007 - 11
L’histoire se passe à Beyrouth en avril 2005. Pendant une période où beaucoup d’autres choses se passent dans le pays, mais on ne peut pas dire que ça intéresse beaucoup Gabrielle, ça aurait même plutôt tendance à l’agacer. Elle n’est jamais descendue dans la rue, elle n’aime pas la foule. On ne sait pas très bien ce qu’elle aime, d’ailleurs. Son piano ? Normal pour une musicienne, mais ce n’est pas réellement une passion. Son mari ? Peut-être. Bien sûr, elle est très malheureuse de le perdre, malheureuse comme une petite fille à qui on retire son jouet préféré, pas vraiment comme une femme adulte. Et d’ailleurs, comment le perd-elle ? Parce qu’il l’a quittée ? Parce qu’il a été enlevé ? Parce qu’il est mort ? Et s’il est mort, est-ce que parce qu’elle l’a tué accidentellement ? Et s’il est seulement parti, alors pourquoi organise-t-elle ses funérailles ? Au fur et à mesure qu’il avance dans le roman, le lecteur est confronté à de nouvelles versions de l’histoire, il est mis face à des réalités concurrentes, entre lesquelles il ne peut jamais décider.

Il a quelques repères. Des personnages : Gabrielle, le mari, et Mirna, la maîtresse. Une scène centrale : le mari dit « Je te quitte » à Gabrielle pendant qu’elle s’habille pour la réception de Mirna. C’est peu.

Le mari est un personnage lointain, journaliste et amoureux de tango. « Nous partagions peu hormis ces rares moments d’intimité, quelques nuits d’amour et peut-être, si, ce monde lisse, sans excès avoués, la nostalgie d’un passé glorieux, chrétien, en naufrage. Je m’étais accommodée de cette tendresse presque fraternelle », dit Gabrielle. Le reste, c’était apparemment à Mirna qu’il le donnait, elle à qui, déjà en 1982, alors qu’elle avait fui le pays pendant l’invasion israélienne, il écrivait « Ton absence m’est intolérable ».

Gabrielle, elle, a quelque chose d’une petite fille gâtée, sauf qu’elle n’a plus l’âge pour que ce soit charmant. C’est aussi une petite fille seule. Un mari disparu, pas d’enfants (elle a avorté trois fois, sans en parler à son mari), pas vraiment d’amis, la seule, c’était Mirna. Et pas beaucoup de curiosité pour le monde qui l’entoure, y compris les plus forts soubresauts de son pays, même quand ils ont lieu sous sa fenêtre. « Gabrielle habite face à la place des Martyrs, elle n’est pas descendue, les mouvements de foule l’effraient. » La même scène revient encore et encore dans le roman, à chaque fois un peu différente. Sur la route, au volant de sa voiture, Gabrielle a heurté quelque chose, ou quelqu’un, qui ? « Elle fredonnait Volver de Gardel, les trois couplets à la fin, “Volver, sentir, vivir”, après “que veinte anos no es nada”, le choc, ce bruit. »

Il y a aussi Gracia, la bonne philippine. À la fois une ombre dans l’appartement de Gabrielle et une présence insistante, exaspérante, indispensable. Et la grosse madame Bustros, qui aide Gabrielle à organiser une parodie de funérailles, avec la complicité des voisins.

L’auteur décrit cet univers un peu claustrophobe avec un sens du détail particulièrement juste et plaisant, un sens du détail d’autant plus réjouissant pour le lecteur qu’il va avec une ironie légère sur les personnages, ou plutôt sur les situations dans lesquelles ils sont empêtrés.

Et puis la vie continue à Beyrouth, le trafic dans le tunnel de Nahr el-Kalb, la zone orange et la rue 4, le garagiste arménien quasi centenaire, les miliciens FL et les bonnes philippines. Pendant ce temps, entre drame, vaudeville et enquête policière, dans une réalité qui ressemble de plus en plus à un rêve angoissant, Gabrielle avance en aveugle vers le dénouement final.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Amers de Yasmina Traboulsi, Mercure de France, 174 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166