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Faulkner revisité
La Pléiade vient de publier le tome IV des œuvres romanesques de William Faulkner.  L’occasion de redécouvrir les derniers romans de l’une des figures de proue de la littérature américaine.

Par Clémence BOULOUQUE
2008 - 01



C’est un homme vacillant que couronnent, en 1949, les jurés du Nobel. La décennie précédente a été amère à William Faulkner ; son alcoolisme, ses problèmes conjugaux et sa sensation d’impuissance face au conflit mondial ont ébranlé son équilibre fragile. L’importance de son œuvre, aux racines plongeant dans le Sud qui le voit naître en 1897, n’a pas encore été reconnue par le grand public. C’est pourtant dans l’obscurité et replié sur sa terre natale qu’il a trouvé sa voix dont témoignent notamment quatre romans, publiés entre 1929 et 1932, Le Bruit et la Fureur, Tandis que j’agonise, Sanctuaire et Lumières d’août, qui l’inscrivent dans l’histoire de la littérature. Ainsi que dans une géographie imaginaire : l’État du Mississipi et le comté de Yoknapatawpha qui ressemblent à celui de Lafayette avec la ville d’Oxford – un Sud mythique encore perclus de sa défaite face au Nord dans la guerre de Sécession , un monde éclaté comme dans la prose, qui multiplie les voix, les points de vue, dilate et déforme le monde, sa violence des hommes et celle du racisme, que saisissent finalement au plus près les simples d’esprit et les sagas familiales.

Les quatre textes parus entre 1948 et 1954, publiés dans le quatrième tome de la Pléiade, ont ici une résonnance plus politique. Aux alentours du Nobel et à l’époque de L’Intrus dans la poussière (1948), Le Gambit du cavalier (1949), Requiem pour une nonne (1951) et Parabole (1954), Faulkner quitte l’intime pour la scène publique. Quitte, parfois, à se faire instrumentaliser politiquement, dans un contexte de guerre froide. Il accepte une série de tournées où il défend une certaine conception de l’humain dont avait témoigné son discours du Nobel : « (L’homme) est immortel, non parce que, de toutes les créatures, il est la seule à posséder une voix inextinguible, mais parce qu’il a une âme, un esprit capable de compassion, de sacrifice et d’endurance. Le devoir du poète, de l’écrivain, c’est de dire ces choses-là. » Et le département d’État en profite pour présenter ce credo comme des valeurs typiquement américaines. Souvent considérées comme mineures, les œuvres tardives de Faulkner portent pourtant l’écho de ses chefs-d’œuvre.

L’Intrus dans la poussière était auparavant connu sous le titre de L’Intrus – lui restituer son titre original donne à souligner l’importance de la poussière depuis son premier texte, en 1926, comme invitation à l’humilité, métaphore du Sud et écho aux citations bibliques (« tu es poussière et à la poussière tu retourneras ») qui émaillent l’œuvre du romancier. Lucas Beauchamp est accusé d’avoir tué un Blanc. Enfermé dans la prison locale, pendant que les habitants s’agitent, et qu’un lynchage s’annonce, il est secouru par deux adolescents qui mènent l’enquête avec une vieille femme. Importance de ces regards bruts, parfois violents comme chez ce simple d’esprit qui narre Le Bruit et la Fureur.

Présent dans L’Intrus dans la poussière, l’oncle Gavin l’est également dans Le Gambit du cavalier où il est le procureur dans un comté violent lui aussi et le fil conducteur des cinq nouvelles. Cette récurrence des personnages dans l’univers faulknerien est également manifeste dans Requiem pour une nonne, adapté par Camus en 1956 pour la scène. Commencé sous la forme d’une pièce de théâtre – l’exercice de dramaturge tente Faulkner depuis ses débuts en 1920 –, le texte est surtout un roman dialogué. Il met en scène deux personnages principaux apparus auparavant : Sanctuaire avait pour héroïne Temple Drake, une jeune femme fortunée et bien mariée, dans le sud des États-Unis, et Nancy Mannigol, une domestique noire au service du couple dans le recueil de nouvelles Soleil couchant dès 1931.

Les deux femmes nouent une relation trouble : elles se sont connues dans un bordel, où Temple était séquestrée. Leur passé et ses chapes de secret tissent le suspens de la pièce, au gré de la dépravation et du meurtre du propre fils de Temple, progressivement révélés par la confession de cette dernière. Si Faulkner est resté en lisière du théâtre, il n’en a pas été de même au cinéma : allant à rebours d’une lecture qui disqualifie l’expérience des studios hollywoodiens, François Pitavy souligne les échos de ceux-ci dans l’œuvre du romancier. Dans les années quarante, il travaille pour le cinéma, collabore à une cinquantaine de scénarios et surtout à ceux d’Howard Hawks pour deux de ses chefs-d’œuvre : Le Grand Sommeil et Le Port de l’Angoisse. Comme nombre de romanciers, prompts à fustiger les studios, Faulkner semble pourtant avoir mâtiné sa prose de techniques cinématographiques, si l’on en croit François Pitavy : le fondu enchaîné de ces années en serait le témoignage.

De plus, Parabole est lié à un projet avorté avec le réalisateur Hathaway : le Christ, de retour pendant la Première Guerre mondiale, devient le soldat inconnu, un scénario qui s’éloigne certes du mythique comté de Yoknapatawpha, mais qui reprend les obsessions et frustrations inscrites dans la genèse de l’œuvre faulknerienne ; il s’agit d’un roman sur la guerre, toutes les guerres. Or il a le sentiment d’en avoir été privé : lui qui s’est engagé en 1918 dans l’aviation canadienne n’avait pas pu effectuer de vol, s’inventant une mythologie personnelle de blessé de la Grande guerre. Puis son œuvre lui a tenu lieu de fantasme, de soi, du monde, du monde en soi. « Mon but auquel tendent tous mes efforts est que la somme et l’histoire de ma vie tiennent dans la même phrase qui sera à la fois ma nécrologie et mon épitaphe : il fit des livres et il mourut », lit-on dans sa Correspondance. Respectueux mais capable de s’immiscer dans les interstices de l’œuvre, André Bleikasten, professeur émérite à l’université de Strasbourg, met remarquablement à nu et en lumière cette vie en romans

 
 
© Ermette Marzoni / Opale
 
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres romanesques, tome IV de William Faulkner, La Pléiade, 1428 p.
William Faulkner, Une vie en romans de André Bleikasten, éditions Aden, 734 p.
 
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