FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Coup de coeur
À l'intérieur des poupées russes
Valérie Cachard, nous livre un texte poignant par son acuité émotionnelle ; fils d’un soliloque prononcé par une femme dont les expériences de vie sont enchâssées l’une dans l’autre…

Par Maya Khadra
2016 - 01
Matriochka ou l’art de s’évider est un discours éclaté qui s’effiloche sur une cinquantaine de pages et où l’instinct féminin se régénère continuellement et avec une vigueur prodigieuse comme dans une parthénogenèse. Entre la poupée et la femme, les frontières s’estompent. La poupée personnifiée devient femme et portera en elle, en guise de progénitures, le monologue – paradoxalement polyphonique – d’une seule femme : enfant, Barbie et poupée russe. Les soucis prégnants qui traversent cette œuvre au style aérien, simple et accessible sont ceux de chaque femme : la grossesse, la postérité, l’amour, la transmission de traditions de mère en fille et le tout se conjugue, à certains moments, avec un lyrisme saisissant et se lit au prisme d’une expérience personnelle ; d’où les résonances autobiographiques de cette œuvre, mise en scène par Valérie Vincent, au théâtre Monnot de Beyrouth, l’été dernier.
L’univers ludique fond dans le discours réaliste qu’adopte Valérie Cachard dans son œuvre. Les poupées meublent son texte et lui confèrent une dimension infantile servant de tribune pour diffuser les réflexions d’une femme mûre qui se remémore les affres de la guerre civile. Elle s’exprime souvent par le biais de la première personne du pluriel pour mettre en exergue la relation fusionnelle avec ses poupées : « Nous avons grandi ensemble. Nous avons appris l’arabe ensemble. Nous avons fui les bombes ensemble, toujours vers le Nord. » La poupée est personnifiée et possède une âme qu’elle perdra pendant la guerre : « Son âme de poupée, qui avait dû fuir par le trou laissé par la jambe, avait remporté le sourire avec elle. » Le registre pathologique est celui de toute une génération d’enfants libanais n’ayant pour échappatoire qu’une histoire de poupées. L’univers de violence qui pesait lourd pendant les longues années de guerre, Valérie Cachard nous le dépeint avec l’insouciance d’une enfant et avec des accents tantôt comiques et tantôt sinistres. Le rocambolesque se prononce au niveau du détournement du dilemme de Hamlet, par exemple : « To be or not to be » qui se mue en « dilemme féminin », aux dires de l’auteur : « Peut-être faut-il se demander si grossir ou ne pas grossir n’est pas la question. »

L’enjeu de l’œuvre de Valérie Cachard est avant tout féministe. Elle brise les stéréotypes qui enserrent la femme de leur étau comme avoir des enfants et garder une silhouette de Barbie. Pour elle, une femme est intrinsèquement fertile ; son bébé est bel et bien sa vie, ses succès et sa créativité : « Quand une femme a le ventre vide, c’est qu’elle a certainement mis l’enfant ailleurs. » La matrice, est la féminité d’après Cachard : « La femme va à l’encontre de l’homme en cherchant l’enfant. » Cet enfant, toutes les femmes l’ont, à l’instar de la poupée russe bien enfouie en elles. C’est leur trésor matriciel trouvé après de multiples introspections dans l’univers stratifié d’une Matriochka… d’une femme tout simplement.


 
 
© Myriam Boulos
 
BIBLIOGRAPHIE
Matriochka ou l’art de s’évider de Valérie Cachard, éditions Antoine, 2015, 53 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166