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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Une adolescente en guerre


Par Josyane SAVIGNEAU
2008 - 02

L’amour, la mort, la guerre : un trio tragiquement banal qui hante la littérature, la bonne comme la mauvaise. Dans le premier roman de Yasmine Char, La Main de Dieu, très maîtrisé, très abouti, la guerre vient en premier. Son héroïne a 15 ans dans Beyrouth en guerre. Quand celle-ci a commencé, elle avait 8 ans. Elle traverse la ligne de démarcation. « C’est comme un film muet, pellicule noir et blanc. Noires les boutiques calcinées, blanc le soleil du Liban. J’imagine que le franc-tireur est humain. Je marche en souriant pour qu’il ne tire pas. »

Yasmine Char joue très subtilement du récit à la première personne et à la troisième personne. Tantôt, elle entraîne son lecteur au côté de son héroïne, dans une sorte d’adhésion à ce personnage d’adolescente dans la guerre, mais aussi en guerre contre la réalité qu’elle doit affronter. Tantôt, elle l’observe dans la distance, par exemple quand elle fait l’amour avec son étrange amant, rencontré par hasard – du moins, pour un temps, le croit-elle. « La jouissance pour la première fois dans le corps de la jeune fille. »

L’amour ? Il était là, dans son enfance, « dans la villa blanche ». Une mère très belle, française, un père très amoureux. Un jour, la mère est partie, croyant encore « qu’il suffit de tirer un trait sur le passé pour refaire sa vie ». Sa fille ne peut pas lui pardonner. Le père ne s’en remet pas, la mort le guette, elle s’approche. Quant à la famille paternelle, elle est bien décidée à reprendre la petite fille en main, à éradiquer ce qui pourrait rester en elle de cette Française qui n’a jamais été acceptée et à lui donner un professeur de Coran pour que cette rebelle absolue revienne à la raison.

La mort ? Outre celle, annoncée, du père, mort intime, privée, elle est partout « dans le sang de la guerre, sur une bande de terre devenue trop étroite ». Combats, massacres, viols, tortures, règlements de comptes… le quotidien de la barbarie ordinaire. Chaque jour la jeune fille l’affronte, cette mort probable, en passant la ligne de démarcation, pensant au franc-tireur « inhumain ». « Il est payé à la tâche. Écolier, adulte, vieillard, même nouveau-né, payé pour tirer. Sans état d’âme. » Un homme qu’on n’aurait pas envie de fréquenter.

L’homme qu’elle rencontre, son premier amant, son premier amour, est français, comme sa mère, bel homme, la quarantaine environ. Il parle un arabe parfait, « seul le roulement du r trahit son origine ». Il se dit correspondant de guerre, et elle « estime qu’il n’est pas normal de se poser dans le camp de la mort, alors qu’il y a la vie ». Une vie de femme, qu’elle pense découvrir auprès de lui.

Mais qui est-il vraiment ? Et pourquoi, au tout début du roman de Yasmine Char, la narratrice évoque-t-elle, avec une sorte de jubilation, ce matin où un inconnu, dans un café, lui a dit « vous êtes une tueuse ». Voilà un propos qu’on a oublié, emporté par la complexe histoire de cette adolescente. Il est pourtant la clé de ce beau livre et de son dénouement.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
La Main de Dieu de Yasmine Char, Gallimard, 2007, 100 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166