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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Georgia Makhlouf
2010 - 01
Le thème des balcons, fil conducteur des mémoires méditerranéennes de Mishka Mojabber Mourani, est un thème à la fois subtil et inspirant. Les balcons qui scandent ses souvenirs et ses voyages successifs sont, nous dit-elle, un espace extérieur mais néanmoins privatif, placé sous le regard des autres mais néanmoins protégé. Un balcon permet d’être chez soi mais tourné vers le dehors, à l’écoute des bruits de la rue, en quête d’une petite pause, d’un bol d’air, d’un afflux de vie. On sort sur son balcon pour se mettre au diapason du monde, pour savoir quel temps il fait, par où souffle le vent, si la rue est calme ou agitée, si le soir tombe, si l’air est doux. Par temps de guerre, c’est depuis son balcon que l’on sonde les tempos de la journée, violents, anxieux ou fluides. On s’y penche aussi pour voir si les voisins sont là, et l’on échangera avec eux quelques mots, on se donnera quelques nouvelles, on se racontera le temps qu’il fait, le prix des légumes, et les dernières anecdotes du quartier ou du monde. Les balcons sont ce par quoi les maisons se rattachent à la ville, courroie de transmission, espace d’échanges sociaux ou marchands. C’est sur les balcons que sortent les femmes pour héler le vendeur qui traîne son chariot, le coutelier qui aiguise les couteaux, le rétameur qui redonnera vie aux cuivres et aux bassines. C’est depuis les balcons que les paniers descendent les étages en se balançant au bout de leurs cordes, puis remontent chargés de précieuses marchandises. Les balcons marquent de leur mélodie méditerranéenne les façades et les murs. Ils disent que la ville a une identité architecturale, une spécificité, un langage. Et que ce langage est commun à tous les pays dont les flancs sont léchés par ces mêmes vagues sans marée.

L’autre thème qui sous-tend l’ouvrage est celui de l’identité que l’auteure aborde d’une façon particulière. Elle nous rappelle à point nommé la complexité de l’identité, qui n’autorise ni les simplifications douteuses ni les slogans racoleurs. Elle nous dit que l’identité s’enrichit des métissages et des mélanges, que les métissages et les mélanges sont ce qui fait son essence et sa raison d’être. Que l’identité n’est jamais figée pour toujours, comme un lot que chacun recevrait à sa naissance et qu’il lui faudrait garder intact sous peine de s’appauvrir. Mais qu’elle se construit chaque jour, chaque jour enrichie, chaque jour reformulée. Qu’elle ne se définit pas par la négative, la soustraction, la division, le rejet, le ni/ni. Mais au contraire par l’addition, la multiplication, l’acquisition, la conjonction, le et/et.

Ce qui fait aussi la singularité de ce livre est ce qu’il dit, en filigrane ou de façon explicite, sur la résilience face aux expériences douloureuses des guerres et des exils qui ponctuent nos vies. Mourani montre de quelle façon guerres et exils l’ont rendue plus forte, plus généreuse, plus sûre, in fine, de ses valeurs, de ses convictions, de ses choix. Elle affirme avec clarté l’importance de la transmission, chaîne ininterrompue qui fait de chacun l’héritier de ceux qui l’ont précédé, et le passeur de témoin à ceux qui lui succèdent.

Un livre à lire, à savourer et... à transmettre.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Balconies : a mediterranean memoir de Mishka Mojabber Mourani, Dar an-Nahar, 101 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166