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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Ritta BADDOURA
2013 - 10
Bjarni Gíslason de Kolkustadir, éleveur de moutons, contrôleur cantonal des réserves de fourrage, pêcheur et bricoleur, se retrouve au crépuscule de sa vie dans une maison de retraite. Cette dernière est proche de la ferme qu’il habita avec son épouse, tout comme elle a vue sur la ferme où vécurent Helga, la femme aimée, son mari et leurs enfants. À partir de cette perspective plongeante sur les deux toits entre lesquels son cœur fit tant d’allers-retours, Bjarni commence à écrire une lettre. Sonore chant d’affection, ses mots deviennent monologue puis introspection brute, car leur destinataire n’est plus de ce monde. Ainsi commence la lettre de Bjarni?: «?Chère Helga, Certains meurent de causes extérieures. D’autres meurent parce que la mort depuis longtemps soudée à leurs veines travaille en eux, de l’intérieur?; tous meurent. Chacun à sa façon?».

C’est une citation de Pascal?: «?Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas?», qui exprime à merveille le trouble étrange que sème la confession de Bjarni. Dans un langage clair, goulu et foisonnant, Bergsveinn Birgisson nous conduit pas à pas dans la logique d’un homme travaillé par la nécessité de préserver ce qu’il a d’inestimable?: ses traditions et sa terre. Car lorsque les rideaux des obstacles classiques, propres aux histoires d’amour, se lèvent, la rivale véritable et incommensurable de Helga se révèle être la nature. Celle de Kolkustadir, campagne du nord-ouest de l’Islande où vivent les amants, et celle de Bjarni lui-même, c’est-à-dire sa nature profonde.

Bjarni ne se résout pas à aimer de manière détachée. Bjarni aime et travaille comme il existe, enraciné dans sa terre splendide et éprouvante. Habité d’un grand amour pour Helga, il traverse son siècle les yeux grands ouverts et témoigne des changements d’une société qui tourne le dos à sa propre mémoire?: «?Croire au progrès et se l’approprier est une chose, mais c’en est une autre que de mépriser le passé. (…) Le bonheur et la plénitude seraient-ils les toutes dernières inventions des gens des villes?? (…) Je me souviens du temps où les fermiers pensaient par eux-mêmes.?» Trouvant dans les mystères et la vitalité de la nature et des animaux un baume pour sa douleur, Bjarni cherche à préserver son monde des territoires sans cesse grandissants de l’artifice. Au risque de fermer les yeux sur Helga. La Lettre à Helga est un beau roman. Non parce qu’il parle d’amour impossible, mais parce qu’il décrypte patiemment, sans chercher à les justifier ou les disséquer, une passion fougueuse entre deux êtres entiers, et le raisonnement singulier qui conduira Bjarni à demeurer toute sa vie coupé de celle qui restera son unique amour.




 
 
© Sigfus Mar Petursson
 
2020-04 / NUMÉRO 166