FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Coup de coeur
Paroles de chats


Par Jabbour DOUAIHY
2013 - 04
«Née sous les ors de la République, chez un Premier ministre poète, d’une brève liaison entre deux chats au pedigree aussi long qu’un firman de sultan, j’ai atterri pour on ne sait quelle raison chez une femme entre deux âges, deux mariages, bilingue pour tout vous dire, ambidextre aussi… » Après une vingtaine de romans et autant de recueils de poésie, l’écrivaine libanaise francophone, Vénus Khoury-Ghata, donne sa langue au chat. Elle aura quand même cherché la facétie en intronisant son animal de compagnie, narrateur, combien volubile et omniscient, des heurs et malheurs d’un drôle d’immeuble parisien et de ses locataires, félins, canins et humains confondus. C’est donc une véritable tour de Babel dans le seizième arrondissement regardée et âprement commentée de bas en haut. Une princesse iranienne qui n’est rien moins que la sœur de l’ancien chah d’Iran, une Polonaise survivante du camp d’Auschwitz, un Américain dans un fauteuil roulant psalmodiant la Bible comme cure contre l’alzheimer, une Lithuanienne ancienne danseuse du Lido et Garbis Garbissian, l’Arménien fantasque menacé d’extradition vers Erevan qu’il n’a jamais connue. Seule la concierge est française. Mais face à la diversité multicolore des habitants, se dresse la gent féline dans tous ses modes, Pacha qui collectionne les embouts des tuyaux d’arrosage, Lulu la végétarienne, Aristote l’obsédé sexuel mort sous les coups de bec d’une tourterelle qu’il tentait de violer, Rimbaud (!), Juliette aux longs cils… et Salomé qui met bas cinq choses hirsutes maculées de glaire et de sang dans le tiroir des contrats d’édition de la maîtresse de maison… On allait l’oublier, cette maîtresse de maison, la femme de plume qui dévie les mots de leur sens, le secret de son écriture résidant « dans le contre-emploi du vocabulaire », mélangeant l’arabe et le français, écrivant de gauche à droite ou de droite à gauche juste « pour voir les mots marcher à reculons »… Parole de chat s’il en est qui brosse de l’auteure un (auto)portrait qui se complaît dans la (auto)dérision et qui nous est servi par fragments, au fil des chatteries et des coups de patte qui ne ménagent ni la xénophobie hexagonale ni les défauts et autres tics de la propriétaire de l’appartement donnant sur le jardin de Passy. Accrochée à sa vieille machine à écrire, Olympia ES 72, cette bilingue bigame a une obsession, nourrir ses poètes, défendre la poésie jusqu’à mordre un critique littéraire qui a prétendu que ces porteurs de feu « lâchent la torche à la moindre étincelle ». Se maquille d’une main et roule des feuilles de vigne de l’autre, et fofolle qu’elle est, n’arrive pas à oublier son arabe natal lorsqu’elle se frappe la poitrine en se traitant de « taissa » (bête) avec des cris qui résonnent sur les murs, à ses moments de détresse.

Fort peu occupée d’échafauder une intrigue avec ce chatoyant monologue animalier, la poète-romancière conclut son histoire par un travelling avant digne des films hollywoodiens sentimentaux quand le chat de la concierge profite du soleil couchant derrière le marronnier pour s’en aller en direction du nord de Paris « où il retrouvera ses semblables, gens heureux qui portent tous leurs biens sur leurs épaules ». Adieu Babylone, même Lucifer, c’est encore le chat, n’en veut plus !

Dans Cherche chat désespérément, Vénus Khoury-Ghata se laisse aller dans une écriture carnavalesque et débridée, toute ivre qu’elle est de confirmer la critique supposée que lui adresse l’un de ses éditeurs comme quoi il ne faut pas permettre aux poètes d’écrire de la prose puisqu’ils risquent de la faire déborder comme lait sur le feu, comme fleuve en crue...




 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Cherche chat désespérément de Vénus khoury-Ghata, Écriture, 160 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166