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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Coup de coeur
Du coup de glotte à la lettre de cœur


Par Jabbour DOUAIHY
2011 - 10
Qui parmi nous, les petits cancres des classes de grammaire arabe, ne s’est pas heurté un jour à cette hamza de malheur, hoquet incontournable de nos voyelles et moucheron instable sur le graffiti de nos phrases laborieuses ? On serait tenté, après avoir fréquenté d’autres langues réputées plus « simples » que la nôtre, d’y voir plus clair en cherchant une définition comparée de la lettre la plus controversée de la langue de Jahiz. Mais c’est à se pâmer d’incertitude en ouvrant le premier dictionnaire : « L’alphabet arabe se sert de la lettre “hamza” pour transcrire le coup de glotte, phonème qui, en arabe, peut se manifester n’importe où dans un mot, même à l’initiale ou en finale. Elle peut être écrite seule ou avoir besoin d’un support, auquel cas elle devient un diacritique. »

Apprivoiser la petite bestiole, c’est ce à quoi s’attelle avec beaucoup de bonheur et de grâce la romancière et éditrice Rasha al-Amir dans un livret pompeusement intitulé néanmoins Kitab al-Hamza, « Traité de la hamza ». Avec l’aide d’une dessinatrice, Danielle Kattar, et d’un calligraphe, Ali Assi, elle nous fait suivre l’apprentissage de Badr, un écolier de dix ans qu’on dirait sorti des poèmes de Jacques Prévert, par les bons soins de la hamza elle-même qui se définit tantôt comme « l’Adam et l’Éve des lettres de l’alphabet arabe » et tantôt comme une « lettre de cœur » ou simple « éperon » pour attiser les mots. D’ailleurs, une belle complicité se noue entre la mal-aimée et son nouvel adepte pour réhabiliter la hamza aux yeux des écoliers rétifs… Mais chemin faisant, le petit conte ludique qui se termine par un bal de fin d’année réconciliant tout le monde (et surtout le maître d’arabe avec son élève) est agrémenté de tout ce qu’il faut savoir sur le « phonème » rebelle. La valse de ses différents usages, de ses « irrégularités » qu’il ne faut pas confondre avec les exceptions. Ses orthographes et ses « positions », bien assise sur son « siège », vagabonde, esseulée sur la ligne calligraphique ou dépendante, arrimée au waw par exemple, ou bien perchée sur la aleph quand elle n’est pas clouée à sa botte (la hamza entretient des rapports mouvementés avec la première et la dernière lettre de l’alphabet, le ya’) pour se muer parfois en madda, cet autre allongement bizarre et propre à l’arabe. Nous faisons aussi connaissance avec al-Khalil, Sibawaih, Abou al-Aswad Aldouali (avec ses trois hamza à lui seul) et autres grammairiens arabes devant l’éternel.

Rasha al-Amir a réussi à nous proposer un petit livre original, utile, élégant et surtout d’une fraîcheur rappelant drôlement Le jet d’eau grammatical que feuilletait l’obscur Argengeorge à l’auberge du Cygne Blanc avant le rendez-vous fatal de la Soirée des Proverbes de Georges Schéhadé…


 
 
 
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