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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les archives de L’Orient Littéraire
Dans L’Orient Littéraire du 7 avril 1962, une étonnante interview de Michel Butor à l’occasion de la sortie de son dernier livre intitulé Mobile. Extraits...

2006 - 08
La critique a très mal accueilli Mobile.

Oui, je le sais. Mais que voulez-vous, dès qu’un livre innove, heurte des habitudes, des manières de voir, aussitôt il est tenu pour suspect et écarté. La critique a une seule excuse : elle n’a pas le temps. Émile Henriot a lu Degrés, il a dû en faire la critique 48 heures après. Avouez que ce n’est pas sérieux ! Un livre, surtout s’il est difficile, doit être lu et relu. Le même livre, au contraire, a été très bien accueilli aux États-Unis.

Mais qu’attendez-vous de la critique ?

Qu’elle m’aide à voir clair ce qui en moi est obscur. J’ai besoin d’elle. Les critiques qui s’étonnent ou d’indignent ne peuvent pas me toucher. J’aime les critiques qui expliquent, qui m’aident à trouver une réponse aux questions que je me pose. Comme le lecteur, ils collaborent avec moi. J’ai tellement besoin de savoir ce que je fais !

Vous considérez-vous comme un écrivain « bourgeois  » ?

Oui, certainement. Mais 99% des écrivains français. aujourd’hui, sont issus de la bourgeoisie. Ecrire, c’est une occupation qui exige beaucoup de temps et beaucoup de loisirs. Un ouvrier n’a pas le temps, je ne dis pas d’écrire une œuvre valable, mais une œuvre tout court... D’ailleurs, toutes ces notions sont vagues en France, les écrivains ne sont pas tous des bourgeois comme on les considérait au XIXe siècle, et les ouvriers français commencent, de plus en plus, à s’embourgeoiser... D’ailleurs, il n’y aucune honte à être bourgeois. Ce qui compte, ce sont nos rapports avec les choses, les gens. J’aimerais que mes livres soient lus par les ouvriers de Citroën. Mais ils n’ont pas de temps, ils suivent mal l’évolution de certaines choses, quoique l’envie de lire soit chez eux très grande. Le lecteur ouvrier a faim de lecture ; il est moins sensible à certains préjugés, il n’a pas besoin de se référer à une culture passée pour juger de nos œuvres. J’ai vu des gars qui n’avaient aucune culture comprendre parfaitement des livres parce qu’ils avaient moins d’idées préconçues. Le lecteur bourgeois croit qu’il sait lire, et quand il ne comprend pas, incrimine l’auteur. Il oublie que l’art de lire est un art de collaboration. Il veut lire pour se délasser. Un ouvrier, s’il lit, et qu’il ne comprend pas, a une humilité de lecteur. Au lieu de se dire : « C’est la faute de l’auteur », il pense : « Je ne comprends pas bien, mais cela doit être bien tout de même... » C’est ce lecteur, disons naïf, que j’aime. Il doit être de mon côté. il doit participer à mes créations, il doit me faire confiance...

Propos recueillis par
Albert Jamous
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166