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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Dans L’Orient Littéraire du 16 février 1963, un article de Claire Gebeyli à propos du grand poète grec Georges Séféris (1900-1971), prix Nobel de littérature en 1963, qui fut aussi ambassadeur de son pays au Liban. 


2007 - 04
Il y a quelques années, un poète, un des plus grands poètes grecs, a vécu à Beyrouth. Peu après la guerre, l’ambassadeur de Grèce au Liban, M. Georges Séfériadès, n’était autre que Georges Séféris, l’auteur de ce merveilleux recueil Strophi qui ouvrit de nouveaux horizons à la poésie grecque. Car rompant avec la tradition, il abolit les frontières entre la poésie et la prose, créant un art tout personnel où la pensée est reine, où le style, l’équilibre et l’harmonie rendent fluides et admirablement musicaux ces vers longs comme des sanglots...

Les étoiles contiennent un monde qui leur est propre 
Au large c’est des feux que traînent les navires
Amère, embrasée, priant avec ferveur,
Libère-toi, mon âme, de l’anneau des ténèbres...

Comment oserais-je parler de Séféris?? Pour révéler sans trahir le sens et l’essence d’une œuvre tellement ésotérique, il aurait fallu une seconde création. Derrière tout poème, c’est un souffle de vie que le lecteur doit trouver, seul, pour l’identifier au sien propre. Cette petite flamme n’est jamais la même pour tous… C’est d’ailleurs ce qui distingue la Connaissance de la Vérité artistique. À travers toute œuvre d’art, c’est notre propre reflet que nous cherchons et l’artiste est le Mystagogue et le Révélateur.

Mais Séféris n’écrit pas pour les foules - il écrit pour les élus. Sa profonde solitude, son angoisse d’être supérieur, sa perpétuelle insatisfaction, son inlassable poursuite d’un idéal qui fuit ne seront jamais perçus par le lecteur du dimanche... Car en revêtant l’idée d’une forme sensible, il la rend sujet et tisse autour d’elle la merveilleuse trame, laissant couler dans ses vers un frisson délicieux d’harmonie musicale.

La nuit rétrécit et demeure étrangère 
Sur la soie ténébreuse les lumières sont éteintes
Tu sais, ô mon âme, quelle loi te ligote
Et ce qui te reste et ce que tu perds…
Sur la soie ténébreuse les lumières sont éteintes...

Poignante détresse tant de fois ressentie par le penseur qui, tragique et solitaire, part à la recherche des grands secrets de la vie, de?la mort... Et c’est pour lui que Séféris écrit. Pour ce compagnon inconnu, pour cette âme tourmentée et douloureuse qui, penchée sur ses vers hermétiques, s’identifiera, en dehors du temps et de l’espace, à son esprit inquiet, inaccessible, ivre de rêve et d’évasion. (...)

Séféris demeurera le noble et profond artiste qui, au-dessus des insuffisances et des banalités de nos temps, propose un langage d’essence surhumaine permettant à quelques élus de communier avec les dieux...

Claire GEBEILY
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166