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Poème d’ici
Ne me croyez pas si je vous parle de la guerre


Par Asmaa Azaizeh
2018 - 10

Palestinienne de Haïfa, née en 1985, la poète Asmaa Azaizeh fait des études d’anglais et de journalisme. Elle reçoit pour Liwa, son premier recueil de poèmes publié en 2011, le Prix du Jeune Écrivain de la fondation Al-Qattan. Elle travaille comme journaliste pour des magazines littéraires ainsi que pour la radio et la télévision, et anime différents projets autour de la poésie et des arts visuels. Ses textes sont notamment traduits en anglais, allemand, français, suédois, néerlandais, grec, persan, italien et espagnol.

 

Ne me croyez pas si je vous parle de la guerre

La guerre me préoccupe mais je n’ose pas écrire sur le sujet. (...) La douleur me pousse à décrire une balle puis je me rétracte vers la description d’une claque sentimentale. (...)

Ne me croyez pas si je vous parle de la guerre, je vous parle de sang en prenant mon café, (...) le regard perdu dans l’éclat de rire des amis et d’un théâtre brûlé à Alep alors que je me trouve, là maintenant, avec vous dans ce théâtre climatisé. (...)

Mais les rêves sont des chèques non barrés

Signés par une femme du Hauran dont je ne connais pas les traits et quand mon couteau rate une feuille de laitue, je sens l’odeur de la tribu de sang laissée par mon grand-père dans nos deux corps. 

(...) Premier chèque :

Au milieu d’un rassemblement particulièrement opaque, je suis atteinte d’une obscène lucidité. (...)

Deuxième chèque :

Je suis assiégée dans la région la plus sacrée du monde. Des balles, comme les paroles divines tombant sur les prophètes, m’assaillent. (...)

Troisième chèque :

Peur à Damas.

Ne me croyez pas quand je vous parle de la guerre

Jamais je n’ai entendu d’autre tir que celui lancé par mon père avec ses forceps dans le cou d’une colombe de la plaine d’Ibn Amr.

Et je n’ai jamais senti le sang d’une blessure hormis celui que j’ai senti avec ma mère lors de mes premières règles.

Je n’ai pas de compte à la banque de la guerre mais une femme du Hauran m’a rassurée : mes chèques sont valides.

 

Extrait de La Valeur décimale du bonheur, Paysages poétiques du Maroc au Yémen Anthologie établie et traduite par Souad Labbize, Bacchanales n°60, Revue de la Maison de la poésie Rhône-Alpes, 2018, 176 p. 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166