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Poème d’ici
À Etel Adnan


Par Nabil El-Azan
2018 - 04

Né à Beyrouth, Nabil el-Azan a accompli successivement deux parcours universitaires, l’un en Sciences politiques et l’autre en Études théâtrales à Paris où il vit depuis 1978. Metteur en scène et directeur de la compagnie La Barraca, il crée principalement des pièces d’auteurs contemporains dont Aziz Chouaki, Enzo Cormann, Daniel Danis, Carole Fréchette, Jean Louvet, Christian Rullier… Auteur de deux ouvrages (May Arida, Le rêve de Baalbeck et Vingt-six lettres de poussières), Nabil el-Azan a également traduit certains textes dont Les Proscrits de Johan Sigurjonsson et Mirages de Issa Makhlouf.

 

À Etel Adnan

Celle qui parle a vu naître les pierres

Les temples

Comme eux elle a résisté au vent

Aux étés implacables

Au blanc de la neige

À l’obscurité

Elle a étreint les statues

S’est écroulée à leur ombre

S’est écroulée avec elles

S’est toujours relevée

Sans jamais pleurer

S’est époussetée et

A continué

Telle la mémoire

Elle est dépourvue d’affect dépourvue de sentiment

Elle est mémoire

Elle sait mais ne dit pas

Pas tout en tous cas

Elle parle se parle

Ce qu’elle dit a la force de l’évidence

Ne serait-ce que pour elle seule

Chaque mot tonne telle une sentence

Chaque sentence est irrévocable

Ses images sont-elles confuses ?

Elle n’en a cure

Elles lui viennent d’un temps sien

D’un temps autre

Où les dieux badinaient avec les enfants

Où les cieux déchaînaient les éléments

Où les colonnes étaient toutes debout

Ces images lui viennent enroulées dans des suaires blancs

Ce sont ses offrandes

À ce qui reste de l'humanité

Celle qui parle est une gardienne

Gardienne de temples

Gardienne du temps

Revenue de tous les désirs de toutes les guerres

Elle ne fait plus qu’un avec les pierres

Son sang est couleur de marbre

Sa voix couleur du miel éternel

Celle qui parle ne sait pas qu’elle parle

Ni même qu’on l’écoute elle dit

Ne veut convaincre personne

Sa parole est aveugle

Quelque chose de grave et de profond

Qui a à voir avec le ventre de la terre

Avec le ventre

Avec le centre

Parole qui n’hésite pas

Ne tremble pas

Même si elle fait trembler

Celle qui parle a baissé ses armes

Comme qui a traversé les arcs-en-ciel

Celle qui parle a été une femme

A été corps et âme

La-voilà déesse détachée de sa statue

Errant parmi les ombres.

 

Octobre 2017

 

 

Publications récentes d'Etel Adnan : 

 

Nuit d’Etel Adnan, traduit de l’américain par Françoise Despalle, éditions de l’Attente, 2017.

 

« Baalbeck », in Ilik ya Baalbak (À toi Baalbeck), La Barraca, 2018. 

 
 
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