Par Wadih Saadeh
2017 - 01
Né en 1948 à Chatîn, dans le Nord du Liban, Wadih Saadeh a travaillé comme journaliste à Beyrouth, Londres, Nicosie et Paris avant de s’installer à Sydney, en Australie. Il a publié douze recueils de poèmes dont le style original et puissant et la portée philosophique lui ont conféré une place de choix parmi les plus grandes voix de la poésie arabe contemporaine. Ses recueils sont traduits en français, en anglais, en allemand et en espagnol. Le Texte de l'absence et autres poèmes (Actes Sud, 2010) a reçu le prix Max-Jacob 2011.
Autres créatures
De sa brise qui passe naissent des créatures
Aériennes qui n’ont pas de lieu précis
Mais qui occupent tous les volumes
Et prennent toutes les formes.
L’espace dompté de lui-même par la vacuité
Créa pour lui les oiseaux,
Et la terre qui contempla longtemps ses déserts jusqu’à créer ses arbres
Abrita ses oiseaux
Plumes invisibles
Et ailes qui n’ont pas besoin d’air.
Une terre nouvelle tourne dans son cœur
Dans sa brise de nouveaux passants
Inconnus des chemins empruntés par les vents anciens,
Passants sans forme ni ombre
S’ils voulaient un foyer
Les creux de son souffle
Suffiraient
À les loger tous.
Autre lumière
Sur la haute montagne il ferma les yeux
Il ne voulait pas d’une lumière vieille de milliers d’années sur lui
Il ferma les yeux et descendit
Dans la vallée
Où la lumière du fond ne provient pas du soleil mais
De la contemplation d’une pierre par une autre pierre.
L’arrivée
Il se débarrassait d’un objet et faisait un pas
Le lourd fardeau l’empêchait d’avancer
L’empêchait d’arriver,
Il se débarrassait d’objets posés sur son épaule
Et d’autres dans son corps
Dans son cœur, dans ses yeux, dans sa tête, dans sa mémoire
Et avançait,
Chaque fois qu’il se débarrassait d’un objet, il faisait un pas
Et lorsqu’il fut totalement vide
Il arriva.
N’oublie pas l’arbrisseau
N’oublie pas l’arbrisseau
Que tu as planté avant que tu ne deviennes eau,
Féconde-le de ton autre eau
Peut-être que lui aussi aimerait devenir une autre créature
Peut-être qu’il voudrait une descendance autre que celle du premier fruit, accrochée aux branches
Féconde-le de ton eau vive
Peut-être qu’au lieu de fruits il voudrait des enfants qui courent
Et jouent autour de lui.
Les arbres aussi ont le désir de marcher et de voyager
Le désir d’une mère d’avoir des enfants
Qui ne meurent pas sur place,
A leurs racines embrasse les arbres de ton autre eau
Et laisse-les sortir de terre
Et marcher.
Poèmes traduits de l’arabe par Antoine Jockey