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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici



Par Joumana Haddad
2006 - 11
Mon poème
1
Mon poème n’est pas long, ni cérébral, ni surtout romantique. Il n’est pas accablé de sentiments, ni de vertus, ni même de pensées confuses. On n’y parle pas, on n’y commence rien, on n’y embrasse jamais sur la bouche. Il n’y a pas de métaphores, ni d’oiseaux perdus, ni de vieux rêves qui s’assoient à l’ombre. Mon poème n’est pas un poème.
2
Mon poème est un fil de fer. Je suis son funambule, son otage. Il vibre sous moi et menace de me renverser. Je m’y accroche, je m’y pends. Il est ma peur et mon évasion. Puis soudain il devient rail, échelle, ride, chute où je ne cesse de dire adieu à toutes les montagnes qui partent sans moi.
3
Il fait toujours noir autour de mon poème. La lune brille de son effacement, la nuit double la nuit. Le paysage est un caillou pointu sous la plante des pieds, et chaque regard est une blessure. Les ténèbres sont le lieu et le non-lieu, et il n’y a pas d’autre rive.
4
Mon poème est une main. La main de l’homme que j’aime. Flèche, arc et gibier à la fois. Elle me caresse, veut me posséder. Je ne lui appartiens pas. Elle le sait. Elle me rend à moi et me porte sans m’avoir.
5
Je cherche mon poème et mon poème me cherche. Sept pages nous séparent, sept puits. Le même feu nous voit, le même métal nous commence. Tyran, ni patrie ni exil, il est dans chaque vice, dans chaque frisson. Nous sommes tous les deux surpeuplés d’absences et de passants. «?Voici ton aventure?», me dit-il chaque soir. Et je voyage.
6
Mon poème est la couleur bleue. Son seuil est couvert d’algues, son cadenas est rouillé, et sa propre eau lui suffit. Je suis sa vagabonde, j’erre sur son asphalte liquide et dors dans ses recoins d’encre. Je suis sa troupe de nuages, sa mousse, sa peau chaude comme une volupté qui arrive. Barque que pétrit une tempête, éclair qui m’emmène vers le visage qui me ressuscite et me multiplie.
7
Mon poème est un laps de temps. Une attente qui se prolonge à l’infini. Troublantes minutes qui s’accumulent entre deux débuts. Moment inattendu qui fait tomber les murs.
8
Je ne suis pas dans mon poème. Je ne suis pas sous ces ongles qui me posent des questions, dans cette douleur obstinée à chaque ligne, entre ces cils fermés sur mes cris. Car je suis dans le poème où je ne suis pas. Et il est en moi.
9
Mon poème est un sexe d’homme tapissé de désir. Pont tendu entre l’univers et moi. Fruit merveilleux qui vit de mon corps. Œil qui me donne à boire puis me happe dans son tourbillon. Tunnel pluvieux d’où je ne voudrais jamais sortir.
10
Mon poème est un chemin. Il marche, marche en moi.
Et je le suis.
 
 
© Wissam Moussa
 
2020-04 / NUMÉRO 166