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Poème d’ici
Le temps me dure loin de toi


Par Jacques Aswad
2015 - 06

La poésie arabe de Jacques Aswad, critique d’art, poète, traducteur, éditeur, fut chantée par Issam el-Hage Ali et Ahmad Qa‘bour (1981). Joëlle Khoury en tira un monodrame lyrique, Rêve elle est, (cd Eka‘ 2008). Fadia el-Hage chanta J.S. Bach en arabe dans sa traduction (cd WDR 2009). Voici des extraits de son poème sur l’expérience du temps chez J. S. Bach citant (en italiques) La petite chronique d’Anna Magdalena Bach, biographie fictive de sa deuxième épouse, écrite par Esther Meynell. L’œuvre fait l’objet d’un spectacle (Andenne 31 mai, Maison de la poésie, Namur, 21 juin 2015) en Belgique où elle paraît en volume chez Quart de ton.

Le temps me dure loin de toi

depuis ton grand départ le temps

qu’ensemble nous trouvions si court

le temps que tu avais horreur de gaspiller […]/ d’où cette hâte de partir/ où tout le monde sait/ sans pouvoir t’y rejoindre/ […] lorsque sur l’autre rive passe/ l’être qu’on a le plus aimé/ et que le souhait de mourir/ pour le rejoindre devient manque

de l’autre rive appelle ce

qu’on ne peut posséder deux fois

[…] ces lointains qui/ creusent la voix

nous frappent, nous déchirent

et nous unissent dans

le feu des sons perdus

Te suivre alors dans ces départs

franchir le pas

[…] sans que la mort ne vienne

suppléer à l’écoute

[…] et le voilà, comme un trait de vin dans la gorge/ l’infini martelant tes chemins de son jour

Donne-moi ton regard/ je veux voir dans la vie/ comme toi des chemins

qui mènent plus loin que la vie

[…] Contrepoint

comme, en avance sur soi, on brûle

[…] Des baguettes de sourcier flambent en dessinant/ le flot d’une écriture qui m’emporte et m’échappe […] des fois, c’est-à-dire par chance/ ou par amour

le grand flot se fait guéable pour moi

Et je sens reconnaître sur ma bouche

le souffle qui plane au-dessus des eaux

[…]

Passion/ à la recherche de son corps

Passion éclairée, transpercée par les cordes

au point où le corps passe

de l’humain au divin

[…] De tous côtés le paysage court

tenir le milieu

entre ces courants – toujours déjà partis mais que leur mise à vif éclaire et bouge – n’est-ce pas voir en un instant tous ces courants à la fois, au temps juste de la mise à vif de chacun d’eux ? Qu’est-ce alors que cet instant conjugué dans tous les temps à la fois et qui a – comment dire ? – son temps porté ?

… au juste milieu, toujours différent, que tu tenais pour voir

Tranquille passeur d’intranquillité

la voix de la musique […] te donnait ce regard/ qui me faisait trembler mais que j’appris à suivre

à suivre aussi/ ces tremblements/ qui ont racine/ en dehors de mon corps

Tranquille passeur d’intranquillité

tu répètes comme on frappe pour percer la paroi qui emprisonne et étouffe/ le mur du temps qui ne cède pas/ qui a toujours cédé/ qui ne cède pas parce qu’il a toujours cédé/ qui dure en cédant/ qui me dure et me manque

[…] tant la musique nous maintient hors du temps

[…] te suivre c’est aller au cœur de la musique/ au cœur de ceci qui nous met au dehors du temps/ et de la musique

Le temps me dure loin de toi

je pose sur ta tombe sur ton clavecin

mes caresses bleu ciel, bleu ne m’oubliez pas

bleu nuit/ le jour pour moi

n’est plus que nuit blessée

depuis ton grand départ

la démesure de l’amour bat la mesure

de cette longue nuit qu’est devenue ma vie

Le temps me dure loin de toi le temps me dure 

 
 
 
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