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Poème d’ici



Par Amina Saïd
2015 - 03

Poète, journaliste et traductrice, Amina Saïd est née en 1953 à Tunis, d’un père tunisien et d’une mère française. Après des études de littératures anglophones à la Sorbonne, elle enseigne un temps à la faculté des Lettres à Tunis, avant de s’installer à Paris. Elle a publié une quinzaine de recueils de poésie en langue française et deux recueils de contes. Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues notamment l’espagnol et l’anglais. La revue Sud a décerné le prix Jean-Malrieu à Feu d’oiseaux (Marseille, 1989) ; le prix Charles-Vildrac (Société des Gens de Lettres, Paris, 1994) a distingué l’Une et l’autre nuit ; elle a également reçu le prix international de poésie Antonio-Viccaro (Marché de la poésie, Paris, 2004).

 

redoutant l’œil dans le cercle

redoutant l’œil dans le cercle

et ce puits qui nous entraîne

dans le vertige de la terre

nous nous éveillons sans nous éveiller

du cauchemar d’un enfant sans âge

 

le ciel happe un oiseau de lumière

 

dans une ville inventée nous cherchons

ce qui précieux pour nous seuls s’est perdu

 

appuyées sur les jambes du temps

nos vies franchissent des seuils

comme des miroirs des rages d’incendies

ou comme une étoile dépasse sa propre mort

 

des corps tombent des corps

 

le temps se défait de tous les noms

qui nous oublient

des ombres traversent un fleuve plus noir

que sa couleur pour renaître

plus loin que la mémoire

 

du milieu du ciel au milieu de la terre

un arbre multiplie le monde à l’infini

comme la question multiplie la question

 

toute langue garde secret son désir

de voler comme un oiseau se libère

de la cage qui contient toutes les cages

 

toute langue conserve une lumière vive

que certains captent à force de creuser

dans le noir de la langue

 

toute langue peut être purifiée

par le sable l’eau ou la pierre

comme un homme prie avec une pierre

ou une poignée de sable

 

toute langue a le pouvoir

de s’aventurer en pays neuf

pour inventer ses mots et croiser

des correspondances inédites

 

toute langue est une manière de miroir

où naviguer sans boussole parmi les îles

sans noms et les continents engloutis

 

toute langue a ses énigmes et ses silences

qui ouvrent soudain un horizon de signes

où chacun réapprend l’horizon et le silence

 

soleil à son lever

chaque jour tu rattrapais la lune

qui fuyait

 

chaque jour tu approchais de mon silence

pour y mêler le tien

 

je me voyais poser la main sur une ombre

moi-même j’étais une ombre

sans paupières

 

nous étions notre propre désert

pierre au vif des sables

et source dans l’amour du monde

 

nous étions l’oiseau blanc

qui porte le nuage entre ses ailes

nous étions le vol et l’oiseau

fendant le ciel du regard

quand s’abolit la distance

et que renaît le feu

 

soleil à son lever

chaque jour tu rattrapais la lune

qui fuyait

 

(…) chaque jour tu approchais de mon silence

pour y mêler le tien

 

nous étions la totalité

des voyelles et des consonnes

que scellaient nos bouches de chair

 

nous étions le feu vif et la cendre

et nos propres décombres

 

nous étions tout ce qui n’eut pas lieu

et qui dure 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166