Ritta Baddoura est née au Liban en 1980. Ses recueils de poésie et ses textes d’expression française ont reçu diverses distinctions. Son blog de poésie « Ritta parmi les bombes » créé lors de la guerre de 2006 (paru aux éditions Dar al-Saqi) a été cité notamment par le New York Times et le Magazine Littéraire. Ses lectures-performances, créées in situ et explorant dans un climat d’improvisation les rencontres entre texte, mouvement et son, ont été présentées dans plusieurs festivals et centres de littérature et d’art internationaux. Ses deux derniers livres, Arisko Palace (Plaine Page, 2014) et Parler étrangement (L’Arbre à Paroles, 2014) explorent une écriture hybride aux frontières de la poésie et du récit.
A.N.
Arisko Palace (extraits)
Hier au cinéma un garçon a sauté.
Il a traversé le pont avec sur les épaules des pellicules de neige printanière.
Juste après le réverbère il s’est arrêté.
Les yeux fixés sur le mondeÂ
L’instant où s’arrête le ventÂ
il saute.
*
J’écris à partir de ma mort.Â
Non. Partir de la mort de quelqu’un d’autre. Ce n’est qu’hier que j’ai compris.Â
Je ne suis pas morte.Â
J’ai longtemps vécu me croyant toute petite. Longtemps vécu et me crus décédée.Â
Hier au cinéma dans la fraîcheur de la dernière neige un garçonÂ
a sauté du haut d’une loge.Â
*
Comme ça il est mort sans faire attention.
Fracassé sur les sièges de deuxième classe.Â
Je l’ai vu. D’abord sur le pont
puis au bord de la rampe.Â
Le voilà chavirer.Â
Il chavire.Â
Maintenant il tombe. Gracieux. Un chat qui joue avec le vertige.Â
Un flocon.
*
Même de loin le garçon ressemble désormais à un homme.Â
Aveugle mon regard à force de s’attacher aux mots de sa bouche est monté au point le plus haut. Où depuis la nuit de sa naissance l’homme s’apprête.
La salle du cinéma Arisko vue d’ici n’est qu’un point invisible.Â
D’abord du manteau et de la robe je me débarrasseÂ
puis de ma peur et du temps avant et après dimanche.
Vas-y saute.
Parler étrangement (extrait)
(…)Â
Chez certains la langue pousse comme une branche sans donner ni fleurs ni fruits et on disait que celle-ci avait déjà délivré sa semence de bouche à bouche
Pour couper une langue et la servir à table on préférait la langue de ceux-lÃ
Même si en ces temps on célébrait le bouche à oreille et la langue capable de jeter ses enfants à la face du monde
Nous on se mit à apprendre tant et tant de langues et fîmes faire à notre langue tant d’acrobaties qu’elle en devint adroite mais vieille avant l’âge
Quand nous tendions la langue les ciseaux s’en détournaient et perdaient l’appétit
Aux repas de famille on raconte que celles et ceux qui ont mangé un morceau de langue ne parlent plus jamais comme avant et mâchent l’invisible et mâchent encore