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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici
La poussière


Par Maram al-Masri
2013 - 09

Née à Lattaquié en 1962, Maram al-Masri est une poète franco-syrienne. Vivant à Paris dès 1982, elle est considérée comme l’une des voix féminines les plus touchantes de la poésie arabe contemporaine. Son œuvre, traduite en huit langues à ce jour, a été récompensée par plusieurs prix littéraires, dont le prix Antonio Viccario 2013 qui distingue un poète vivant habitant un continent différent. Ses poèmes ont été publiés notamment aux éditions Bruno Doucey, Le temps des Cerises et al-Manar.

 

La poussière

La poussière 

Une voyageuse comme moi 

Une immigrante comme moi 

Qui, malgré tout, ne s’enracine nulle part 

Sans patrie 

Elle vient de tous les horizons 

Portée sous les aisselles du vent 

Le vent la ramasse avec son balai 

Avec sa chevelure épaisse 

Ou avec ses mains 

Il la sème là où personne ne la soupçonne 

Il la sème même dans le tiroir secret 

Du cœur.

 

Signe 15

Joueuse

je m’entête à jouer au hasard

je joue avec les mêmes lettres

et à chaque fois je me mets moi-même

en gage

sans tricherie

je mets en jeu des matières vivantes

obstinée

je m’accroche à la poésie

comment puis-je la saisir sans la faire mienne

comment voir ses signes

sans me prosterner

devant cette légère 

soudaine

difficile

belle ?

 

Les enfants

Les enfants ne comprennent

pas les informations

ni les montagnes russes de la Bourse

ni les crises économiques

Les enfants rêvent

de chevaux

de chiens, de chats

d’amis

et surtout ils rêvent

de baisers, de sourires

et de mains tendres

Les enfants ne comprennent pas

le silence de la joie

et de la foire

ni les refus de leurs parents

quand ils réclament des pommes d’amour

et des chocolats

ou un tour de manège

sur les chevaux de bois.

Les enfants ne comprennent pas la guerre

même quand ils imitent les policiers

et qu’ils se déguisent en Peaux-Rouges

Les enfants, précieux dépôts

de la vie.

 

Je les ai vues

Je les ai vues.

Elles,

leurs visages aux bleus camouflés.

Elles,

leurs meurtrissures cachées entre les cuisses,

Elles, leurs rêves capturés, leurs mots muets

Elles,

leurs sourires fatigués

Je les ai vues

Toutes

passer dans la rue

âmes aux pieds nus,

regardant derrière elles,

inquiètes d’être suivies

par les pieds de la tempête,

voleuses de lune

elles traversent,

déguisées en femmes normales.

Personne ne peut les reconnaître

sauf celles

qui leur ressemblent. 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166