Par Maram al-Masri
2013 - 09
Née à Lattaquié en 1962, Maram al-Masri est une poète franco-syrienne. Vivant à Paris dès 1982, elle est considérée comme l’une des voix féminines les plus touchantes de la poésie arabe contemporaine. Son œuvre, traduite en huit langues à ce jour, a été récompensée par plusieurs prix littéraires, dont le prix Antonio Viccario 2013 qui distingue un poète vivant habitant un continent différent. Ses poèmes ont été publiés notamment aux éditions Bruno Doucey, Le temps des Cerises et al-Manar.
La poussière
La poussièreÂ
Une voyageuse comme moiÂ
Une immigrante comme moiÂ
Qui, malgré tout, ne s’enracine nulle partÂ
Sans patrieÂ
Elle vient de tous les horizonsÂ
Portée sous les aisselles du ventÂ
Le vent la ramasse avec son balaiÂ
Avec sa chevelure épaisseÂ
Ou avec ses mainsÂ
Il la sème là où personne ne la soupçonneÂ
Il la sème même dans le tiroir secretÂ
Du cœur.
Signe 15
Joueuse
je m’entête à jouer au hasard
je joue avec les mêmes lettres
et à chaque fois je me mets moi-même
en gage
sans tricherie
je mets en jeu des matières vivantes
obstinée
je m’accroche à la poésie
comment puis-je la saisir sans la faire mienne
comment voir ses signes
sans me prosterner
devant cette légèreÂ
soudaine
difficile
belle ?
Les enfants
Les enfants ne comprennent
pas les informations
ni les montagnes russes de la Bourse
ni les crises économiques
Les enfants rêvent
de chevaux
de chiens, de chats
d’amis
et surtout ils rêvent
de baisers, de sourires
et de mains tendres
Les enfants ne comprennent pas
le silence de la joie
et de la foire
ni les refus de leurs parents
quand ils réclament des pommes d’amour
et des chocolats
ou un tour de manège
sur les chevaux de bois.
Les enfants ne comprennent pas la guerre
même quand ils imitent les policiers
et qu’ils se déguisent en Peaux-Rouges
Les enfants, précieux dépôts
de la vie.
Je les ai vues
Je les ai vues.
Elles,
leurs visages aux bleus camouflés.
Elles,
leurs meurtrissures cachées entre les cuisses,
Elles, leurs rêves capturés, leurs mots muets
Elles,
leurs sourires fatigués
Je les ai vues
Toutes
passer dans la rue
âmes aux pieds nus,
regardant derrière elles,
inquiètes d’être suivies
par les pieds de la tempête,
voleuses de lune
elles traversent,
déguisées en femmes normales.
Personne ne peut les reconnaître
sauf celles
qui leur ressemblent.Â